Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
L’ENTHOUSIASME

homme dur et maussade, mais aussi un surveillant farouche, d’accord avec mes ennemis pour continuer l’œuvre d’oppression.

Que serais-je devenu après ces journées sombres, après l’examen que, chaque soir, en dépit de ma fatigue et de son ignorance, me faisait subir M. Hamelin, que serais-je devenu si ma mère ne m’avait pas endormi dans ses bras ? Durant des années, elle n’y manqua jamais. Nous ne parlions point. Elle me berçait d’un doux geste. De temps à autre elle mettait ses lèvres parmi mes cheveux. Caresses précieuses : il suffit que l’enfant les ait reçues pour que son âme s’incline davantage vers la tendresse. C’est la mère qui enseigne la grâce du baiser.

La mienne me consola de tout, et vraiment, l’ayant eue, je n’ai pas le droit de me plaindre. Si je ne puis me défendre aujourd’hui d’un certain effarement devant ce qu’on appelle la mère parfaite, si j’estime qu’en se désertant et en transportant en d’autres sa raison de vivre, elle enfreint des lois plus graves que ne l’est l’instinct de nature auquel elle se soumet en l’exagérant, je m’en accommodais alors sans le moindre scrupule. Eussé-je compris son dévouement qu’il m’eût paru tout simple qu’elle se sacrifiât, fondît sa destinée en la nôtre, et n’attribuât de valeur à son existence qu’en raison de £es soins pour nous.

Une seule force contre-balançait l’ardeur d’un tel amour ou, du moins, en maintenait constamment le cours suivant une même ligne, c’était la crainte