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L’ENTHOUSIASME

vienne pas, elle domptera sa peur, et elle viendra.

Je me répétais tout haut ces mots de consolation, et, en moi-même, je l’appelais doucement et faiblement, comme si elle eût pu entendre mes plaintes et s’émouvoir de leur humilité. Tant qu’il y aurait une lueur d’espérance, je ne souffrirais pas, j’étais résolu à ne pas souffrir. Mais les minutes impitoyables me déchiraient. Le cercle de douleur se restreignait autour de moi, ameutant les pensées mauvaises, le doute qui torture, la jalousie, la haine, la défiance d ? l’avenir. Mon cerveau se débattait contre leur attaque. « Elle va venir, j’en suis certain, » proférais-je pour ne point laisser de place à à d’autres idées. Six heures sonnèrent. Je fus vaincu.

Elle ne viendrait jamais. Je ne connaîtrais jamais le frisson de son corps. Les petites choses le défendaient, les petites choses fluides et toutes-puissantes qui séparent les amants, qui avaient déjà brisé mon amour et m’avaient tenu en exil pendant une année, les petites choses terrifiantes qui faisaient trembler mère, motivaient les mesures de Philippe, et inspiraient à Geneviève des épouvantes insurmontables.

Jusqu’au soir, je restai là, dans l’ombre triste, répétant :

— Je ne l’aurai jamais… je ne serai jamais son amant…