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L’ENTHOUSIASME

d’y porter, souleva des protestations unanimes. À l’heure tardive où l’on s’oublie parfois à agiter les plus graves questions, les fils de famille s’insurgèrent contre des théories qui ne tendent à rien moins qu’à démolir tout l’édifice social. On s’échauffa de part et d’autre, on se querella, et les messieurs tranquilles, arrachés à leur table de jeu par le bruit des apostrophes, s’alliaient à mes adversaires.

Je tenais tête à tout le monde. Il n’y avait pas de cheveux blancs ni d’autorité mondaine qui pussent me réduire seulement au simulacre d’une concession. Devant la mort j’eusse confessé ma foi, mon amour des faibles, ma haine de l’injustice et du privilège, mon mépris de toute contrainte et de toute discipline, mon admiration pour ceux qui vivent en dehors des règles, mon idéal de liberté individuelle.

Rien n’est plus doux que de défendre une cause généreuse, alors même que l’on aurait tort. Vrais ou faux, il y a des arguments si nobles que l’on éprouve plus de satisfaction à les employer que : ceux dont la justesse possible est suspecte d’égoïsme et d’hypocrisie. Peut-être eussé-je plié quelquefois sous le nombre de mes adversaires et sous le poids de leurs raisonnements, mais jamais je ne sentis en eux un élan du cœur, une tendresse, une émotion, un peu de pitié. Cela me donnait une assurance singulière, et je repartais avec plus de fougue, bravant l’ironie des uns, la colère des autres. Les