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L’ENTHOUSIASME

pas blesser les oreilles, et je touchais aux choses avec la plus extrême délicatesse.

N’ayant aucune chance de rencontrer Geneviève le matin ou le soir, je m’enfermais et me mettais au travail aussi ardemment que si un but fixe et raisonné m’eût séduit. Le plaisir d’apprendre se révélait à moi en ces longues heures de retraite, et je lisais, j’écrivais, je me passionnais pour l’œuvre des autres ou pour l’effort inhabile de ma pensée.

— Quelles sont tes intentions ? soupirait mère, que le titre seul de mes livres déconcertait.

— Je n’en ai pas, répondais-je, je me contente d’être heureux.

Hélas ! tout cela n’était pas normal. Tout cela se passait en dehors du domaine d’idées et de faits où les gens ont coutume de cheminer. Elle eût préféré, j’en suis sûr, une franche dissipation et quelques pertes d’argent, erreurs qui ne sont pas en désaccord avec les règles ordinaires, à ces façons indépendantes de s’aventurer dans des routes que personne ne suit.

La fréquentation de M. Berthier, que j’allais souvent, selon le vœu de sa femme, attendre à la porte du collège, ouvrait à mon enthousiasme des issues bien dangereuses. Toutes les manifestations de ma vie me paraissant également belles, je n’aurais pas consenti à priver les autres du bienfait des certitudes morales et sociales que j’acquérais auprès du vieux savant. Sous peine d’égoïsme et de sécheresse, on ne confisque pas à