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L’ENTHOUSIASME

riles. Aujourd’hui encore il me faut, tant j’ai peine à rattacher à ses vraies racines cet amour qui semblait fleurir pour la première fois, il me faut évoquer l’absence si douloureuse, mes élans de révolte, mes goûts de solitude, puis, plus tard, mon âme qui s’émiette en passions factices, mes enthousiasmes et mes inquiétudes, l’agitation et le malaise de ma vie, bref tout ce qui m’a contraint par les mille impulsions quotidiennes d’un rêve inconscient, à reprendre le chemin de Bellefeuille. Oui, la sensation d’aimer a été interrompue en moi, mais je n’ai pas cessé un instant d’aimer Geneviève parmi les entraînements de mon cœur. Je l’aimais à mon insu, comme au temps de mon enfance. C’est Geneviève que j’ai cherchée dans les autres, c’est elle que je retrouvais dans la chambre au balcon vermoulu, elle avec qui je foulais les prairies vertes, elle qui me guidait sur l’étang de la Vaunoise. Ma bouche n’a pas formulé un serment que Geneviève n’ait provoqué. Mon désir l’appelait. Elle a eu tout de moi, jusqu’à mes erreurs.

Il ne se pouvait pas qu’une telle exaltation se restreignit dans des limites purement sentimentales. Elle se dépensait de tous côtés, en désirs généreux, en rêves de noblesse, en tentatives de bonté, en résolutions altruistes. J’eusse voulu qu’on réclamât de moi des sacrifices exceptionnels, ou bien être à même de soulager quelque grande infortune. En présence de mes semblables, mon cœur se dilatait. Aux repas je retenais le son de ma voix pour ne