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L’ENTHOUSIASME

sent point davantage qu’ils aient de la joie à respirer, à mouvoir leurs bras et leurs jambes, à regarder et à entendre. Tout au plus semblent-ils se réjouir de converser. Comme je m’explique aujourd’hui les haines de ce petit monde immobile et morose contre l’adolescent irréfléchi qui osa vivre selon sa fantaisie !

À l’un des angles formés par la place et par le boulevard qui la traverse, derrière la statue en bronze d’Antoine Bellet, astronome et navigateur, voici notre maison. Elle est déserte, les volets en sont clos, nul ne l’habitera jamais ; ainsi le veut ma mère. Elle s’y est mariée ; elle y a connu huit longues années heureuses avant la mort de son mari ; j’y suis né ; ma sœur Claire, sept ans plus tard, y naissait ; c’est là que nous avons grandi sous ses bons yeux. Et si nous n’avons pas répondu à son espérance, elle ne peut du moins oublier qu’entre les vieux murs de cette demeure elle a rêvé pour nous les seuls rêves de sa vie.

Et voici le collège. Oh ! j’ai frissonné de la même détresse qu’aux minutes navrantes où, les matins d’hiver, j’apercevais la haute façade lugubre. Cette horloge sonne encore à mon oreille, comme un glas. À droite de la grille, cette porte basse claque sur moi comme la porte d’une prison. Une prison, en vérité, n’est-ce point par là que l’homme commence ? Dès qu’il pourrait prendre goût à l’espace, à l’indépendance, à la beauté des choses, au spectacle du ciel et de l’horizon, on l’enferme. Il y a