Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.

serai pas à même de les mettre à l’épreuve ? Il est temps de m’édifier une base solide.

Hélas ! il savait bien que la base unique et principale était la certitude. Tant qu’il ne l’aurait pas acquise, tout projet restait vain. Selon le dénouement, il continuerait à se débattre sans espoir, ou pourrait obéir à sa vocation.

Ô cette certitude existait, le dénouement avait eu lieu. À l’heure présente, en un sens ou en l’autre, d’une façon définitive, tout était terminé. L’obstacle barrait ou ne barrait plus la route. Que n’allait-il s’en informer ?

Il avait peur. Bien que précaire, sans confortable, ouverte à tous les vents, d’une sécurité médiocre, la tente où il enfermait sa vie, lui assurait un gîte, un sommeil tranquille. De droite ou de gauche, à portée de sa main, d’agréables sensations fleurissaient. Entre les pans écartés de la toile, se déroulait la féerie de paysages nouveaux. Et l’appétit de son cerveau se contentait de pensées passagères, calculs d’amour, théories d’art, plans de colonisation.

Que lui réservait sa demeure future ? À côté de parties luxueuses ne recèlerait-elle pas des coins d’ombre infernale ? Y dormirait-il sans cauchemars ? Et quelle serait la nature de ses pensées ?

En somme sa peur se formulait en trois mots : parricide ou non. « Suis-je hors la loi ou tout bonnement pareil à ce brave homme qui dîne en face de moi ? »

À ce moment il eût pu prévenir la réalisation de son crime qu’il fût parti en toute hâte. Mais, ne le pouvant, comme il estimait moelleuse et douce l’indécision où il se cramponnait !

Elle l’irritait cependant parfois. Il s’énervait de cet état d’esprit flottant