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se transformèrent en phrases. Aniella n’y entendait rien. Marc, penché sur elle, calme auprès de sa nudité, s’expliquait doucement :

— Petite créature, je ne veux pas déformer mon souvenir de toi. Ton image doit demeurer insaisissable, comme un rêve toujours flatté, jamais étreint. Tu fus pour moi l’éternelle illusion qui me servit à cacher la réalité. Reste cela. Gracieuse petite chose de désir, ne sois pas chose d’assouvissement. Tu t’enlaidirais en ma mémoire. Jouir, c’est le commencement de la lassitude. Je veux toute ma vie être insatiable de toi. Il lui imposa les mains sur le front et dit :

— Et puis, petite chose, cela serait mal de te voler. La chasteté est un précieux bien que tu ignores. Je n’ai pas le droit d’en briser le voile, moi qui ne suis qu’un passant. Et ne crois pas que je te refuse pour m’enorgueillir de ma force. Non. C’est le premier tressaillement de ma bonté qui s’éveille. C’est par une infinie pitié de ta faiblesse et de ta candeur, que je ne veux pas te profaner, chère petite chose vierge.


VIII


Marc se complut dans sa bonté héroïque, et cela lui semblait une source d’émotion si limpide, si nouvelle, si profitable au rafraîchissement de son âme qu’il remettait son départ de jour en jour.

Dès le matin, il appelait Aniella. Elle s’asseyait dans son fauteuil, toujours passive et muette. Elle n’avait plus son jeune sourire d’enfant et son attitude témoignait d’une extrême fatigue. Marc la contemplait avec des yeux ravis. En lui tout désir n’était pas aboli, et bien