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quet dissimulé entre les pages d’un livre, et descendit.

Il se sentait en pleine inconscience, mais déterminé par une force irrésistible et sûr de son droit comme justicier. Toujours il devait se revoir sous cet aspect d’automate.

Une seule réflexion le traversa alors qu’il pénétrait dans la chambre de son père :

— En ce moment, je commets un crime. Comme c’est simple. D’autres s’affolent. Moi, je suis calme. Mon cœur ne bat pas plus vite. Pourtant, c’est la mort que j’apporte, et, avant une minute, je serai parricide.

À peine une contraction légère le serrait au creux de l’estomac, et ses mains étaient froides.

Il marcha vers la table. Bien en ordre, couchés l’un contre les autres, s’allongeaient les produits pharmaceutiques. Il en compta quarante-trois.

Il mit à part les dix-huit premiers et saisit l’un des vingt-cinq derniers. Il l’ouvrit. La poudre contenue ne différait pas de la sienne. Il la recueillit, versa la poudre qu’il avait fabriquée et reploya le papier. Puis il mélangea les vingt-cinq paquets comme des cartes que l’on bat, et sur le tas replaça les dix-huit paquets mis à part.

Ainsi donc, entre le dix-huitième jour et le quarante-troisième, s’accomplirait le crime.

À reculons, Marc s’éloigna, les yeux accrochés à la table. Il murmurait :

— Voilà qui est fait : j’ai tué, j’ai tué.

Mais le sens de ces mots ne l’atteignait pas. Il sortit. Et, pour que son père ne se doutât de rien, en hâte, par les collines, il se rendit au village.

Toute la journée persista sa torpeur,