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tuer. Il a bien su jadis imaginer ce qu’il fallait, il a bien su trouver en ses nerfs et en sa volonté la force d’agir. Il ne peut plus aujourd’hui, car il a goûté au dissolvant bonheur.

Ainsi peu à peu Marc parvenait à la compréhension totale de son existence. Elle se résumait en deux actes : la première fois, il a tué par cupidité ; — la seconde fois, il n’a pu tuer par amour. Il a tué quand tuer était un crime, non quand tuer était un devoir. Il a tué pour affranchir son corps, non pour affranchir son âme. Il a tué pour de l’or, non pour conquérir la vie, la vie féconde, la vie douloureuse, la vie ardente, la vie bienfaisante, la Vie, seule raison de vivre.

C’était le châtiment. L’ignominie du premier acte a déterminé la lâcheté du second. Parce qu’il a tué, il n’a pu vivre, vivre assez fortement le jour où il eût été bien de tuer. Pour agir, il a dépensé en une fois toute l’énergie de sa vie et le peu de force disponible après l’acte, il a dû, au mépris de toute amélioration morale ou intellectuelle l’employer à sa sauvegarde. Il n’a pas vécu, il n’a pas vécu. C’est l’effroyable punition que le meurtre de son père lui a infligée. D’abord il l’a commis. Ensuite il a dû chercher l’oubli. Et toute autre