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soirée de Paris, rattacha l’heure actuelle à l’heure passée et le contraignit à reprendre le cours de sa méditation. Les idées que l’on renfonce en soi remontent malgré tout à la surface, percent la couche des idées secondaires accumulées à loisir, et se résolvent en phrases nettes.

Ainsi se dégagea le sens de son évolution durant ces dernières semaines. Ses besoins physiques étaient satisfaits, ce qui instantanément avait ranimé ses facultés assoupies. Mais qu’il eût du pain et des vêtements ne constituait pas la totalité de ses droits d’homme. Il y a en ce monde des objets de luxe, des étoffes de choix, des inventions commodes, des raffinements, des privilèges. Or à ces différents biens correspondaient en lui des instincts aussi violents que ceux de conservation. Et ces instincts réclamaient leur assouvissement.

Le problème de la vie lui semblait très simple. Le but de l’homme est le bonheur. Le chercher est un devoir, l’atteindre, sous quelque forme qu’il se présente, un droit. L’ignorance des obstacles qui vous en séparent provoque l’incertitude de la poursuite et l’impossibilité de réussir. Mais lui, savait. Pourquoi n’était-il pas heureux ?

L’épouvante du soir sinistre l’assaillit. La même interrogation se dressait. Lâchement il se déroba. Plusieurs jours, il subit le cauchemar d’un cerveau en fuite, indéfiniment en fuite devant un monstre invisible, mais proche, avide, harcelant.

Il se réfugia près de son père. Quelle que fût leur antipathie, le vieux représentait l’asile et la sauvegarde. Il se croyait à l’abri derrière ce rempart. Il