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quoi elle avait deviné ses larmes et enlacé sa tête, elle-même pleurant et souhaitant la consolation de cette étreinte.

— Il me semble, dit Marc, que j’ai changé d’univers depuis ce soir-là. Celui où j’habite a des cieux d’autre couleur, des arbres d’autre forme, des bruits d’autre espèce. Il y a de la matière comme auparavant et des objets de dimensions déterminées et de la vie, mais autour de cette vie flotte quelque chose qui me la fait voir telle qu’on doit la voir. Est-ce ton âme ? ou plutôt n’est-ce pas l’âme générale, la mienne, la tienne, celle du monde, celle de la nature, celle où je parviens peu à peu, en étant chaque jour plus digne ?

Il ajoutait lentement :

— Ce que je dis n’exprime pas ce que je sens, mais nous sentons si bien tous deux ce que je ne sais pas dire !

Et Marc se demandait :

— Comment renoncerais-je au spectacle de la lumière entrevue ? Comment retournerais-je à mon vieux coin d’univers.

Un des enfants tomba malade. Le médecin prescrivit la rentrée à Paris, l’air de la mer devenant trop vif. Louise déclara :

— Je pars demain.

— Tu as raison, pars demain, moi je reste jusqu’à la fin du mois ; ce climat me réussit à merveille.

Comme tout s’arrangeait bien ! D’abord, c’était une période tranquille qui profiterait à son amour. Il ne quitterait plus Bertrande. Puis cela lui accordait du loisir pour trouver une combinaison prudente et ingénieuse. Et quel atout dans son jeu, cette séparation ! Louise à Paris, lui officiellement à la campagne, en un jour d’absence clandestine,