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s’évanouirent les envies mauvaises, il fut prêt.

Alors, de préférence à la route, il suivit la rivière comme si l’eau eût été un guide plus fidèle pour le diriger vers l’absente. En vue de la Chevrotière il s’arrêta, à bout de forces. Peut-être Bertrande avait-elle obéi au même élan d’amour.

Le sentier s’engage parmi les rochers, puis bifurque derrière l’un d’eux. Au coude, Bertrande et Marc se trouvèrent l’un en face de l’autre.

L’émotion les paralysa. Ils se regardèrent, extasiés. Est-ce que vraiment ils avaient souffert ? Elle lui sembla plus pâle, de mine presque défaite. Il eut des remords et dit :

— Bertrande, ne vous souvenez plus de notre dernière soirée. Il n’en sera plus jamais ainsi. Nous avons tant d’autres souvenirs, et de si bons qu’en leur faveur il faut me pardonner. J’accepte tout de vous. Il nous reste un mois… que rien ne l’assombrisse.

Après avoir parlé, il pensait :

— Voilà que je n’hésite plus à rompre notre cher silence. Et pourquoi, mon Dieu ? Ne comprenait-elle pas que j’ai vaincu mon désir et que je la supplie de s’abandonner sans crainte… comme je suis sorti de la vérité !

Il l’implora des yeux et il balbutiait en lui-même :

— Bertrande, Bertrande, sauve-moi.

Elle lui prit la main comme à un enfant et le conduisit jusqu’à l’endroit où ils avaient confessé leur amour. Et quand ils y furent assis, elle eut la hardiesse d’attirer une troisième fois sur son épaule la tête de Marc.

Une joie ineffable le pénétra. Par ce geste de douceur et de confiance, elle