Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Telles furent les relations du bijoutier avec son fils. Il atteignit le but poursuivi. Marc ne put vraiment pas se douter qu’on le chérissait. Il crut plutôt à de l’aversion.

Ses études terminées, il accourut à Paris. Là, son père lui tint ce langage :

— Mon garçon, voilà quarante ans que je pioche. Résultat : la gêne, presque la pauvreté. Les derniers inventaires ont été désastreux ; j’en ai assez, mon fonds est vendu, je me retire à la campagne. Veux-tu vivre auprès de moi ? Je te dois le coucher et les vivres, je te les offre. Oui ou non ?

— Non.

— Je m’y attendais. Eh bien ! voilà cinq cents francs. Débrouille-toi. Seulement, je te préviens, tu n’auras plus un sou de moi, pas un. Embrassons-nous, et bonne chance.

Il partit et tint parole. Trois fois Marc implora son secours. Ses lettres demeuraient sans réponse. Et, après dix ans d’éloignement, ils se retrouvaient l’un en face de l’autre.

Leur première impression, confuse chez le père, distincte chez le fils, fut qu’ils ne se connaissaient pas plus que deux étrangers se croisant sur une route. Nul souvenir commun de joie ou d’épreuve ne vibra. À peine eurent-ils la curiosité de se convaincre, par un rapide examen, de leur mutuelle décadence. Le dos voûté du père et sa mise sordide frappèrent le fils. M. Hélienne, lui, ricana :

— Ça ne t’a pas profité, le pavé de la capitale.

Le jeune homme rougit. Le vieux, machinalement, se mit à couper ses ongles avec son sécateur. Et, affectant, un air distrait, il articula.