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Et quelle volupté de vivre en un péril continu ! Quelle ivresse de se confier à son propre mal et d’élire pour défenseur l’idée fixe dont l’exagération vous martyriserait, dont l’insuffisance vous laisserait désarmé !

Est-on moins solide parce que l’on se tient en équilibre ? Son assurance démentait cette hypothèse. La solidité dépend du pivot. Or, un crime est un pivot inébranlable. Elle dépend aussi de l’adresse, de l’aide que l’on prend en soi-même. Or, l’expérience le sacrait maître en jongleries.

Il est probable que, sur la corde raide, le danseur habitué est aussi tranquille que, sur leurs chaises, les assistants qui le regardent. Il se promène, il court, il tourne, il s’accroupit, il se couche comme le ferait dans une chambre tel d’entre eux.

Ainsi Marc installait son bonheur sur une corde étroite. Il s’y trouvait fort à l’aise. Il avait réuni là son petit bagage de réminiscences et d’ambitions. Un balancier fidèle augmentait sa sécurité. À droite, à gauche, c’était le gouffre. Pure perversité que d’y lancer de furtifs coups d’œil. Il se berçait. Il glissait. Il se servait d’un pied ou de deux. Il cabriolait. La charmante existence !

Cette comparaison lui agréa. Il nota ceci.

« La corde raide, c’est mon crime, le balancier, c’est la crainte du remords et mon habileté est infinie. »

La logique ne réclamait plus. Rigoureusement, par un mécanisme visible, le crime avait forgé le bonheur. Que cela fût révoltant ou non, d’apparence monstrueuse ou naturelle, Marc était heureux parce qu’il avait tué son père.