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« Le bonheur est un équilibre (il respira largement après avoir écrit ces mots ; c’était si net ; il les répéta.) Le bonheur est un équilibre. Quand les joies et les peines, les facultés et les besoins se maintiennent superposés, il y a satisfaction. Cet équilibre est stable, s’il s’effectue de lui-même sur une base fixe, par l’agencement des parties constitutives. C’est le bonheur des médiocres. Nulle joie, nulle peine. Un poids trop lourd, du reste, et la pyramide s’écroulerait. L’équilibre est instable si la base est mouvante, s’il est subordonné d’une façon ininterrompue à la cause primordiale qui le produit. C’est le bonheur des adroits et des intelligents. C’est le mien. »

Il disait vrai. Le principe d’équilibre diffère en chacun de nous. Il diffère par sa nature et par sa qualité. Tel principe est bon, tel autre mauvais. Et ainsi tel être réussit et tel autre échoue.

Chez Marc, ce principe résidait dans son crime. Depuis quatre ans, ce crime le tenait en équilibre, lui et ses instincts, et ses désirs, et ses pensées. Depuis quatre ans, ce crime était le doigt d’acrobate qui joue avec l’échafaudage compliqué des objets. Base mobile, mais sûre.

Tous les souvenirs et tous les rêves se cramponnaient autour de la ligne idéale qui montait de ce pivot. La crainte du remords accaparait toutes ses aptitudes et toutes ses réflexions et déterminait ainsi une masse compacte, sans angles accentués, commode aux divers exercices. Et tout cela allait, venait, se penchait et se redressait, sautillait avec des à-coups et des zigzags, et jamais ne se désagrégeait ou ne s’effondrait.