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Ainsi qu’une balle, la réalité trouait l’amoncellement des mensonges et, à travers l’espace, à travers le temps, joignait la minute morte à la minute vivante, rattachait l’effet à la cause. Les deux mots se choquèrent : parricide et heureux.

Il n’osa les écrire ceux-là, mais ils s’inscrivaient eux-mêmes en un relief saisissant. Et l’un près de l’autre, ils faisaient songer à quelque accouplement sacrilège.

— Suis-je un monstre ? se dit Hélienne. N’aurais-je pas des sentiments humains ? Parmi la foule de mes semblables serais-je une exception, une brute, un être privé des émotions primitives ?

Souvent de passagères angoisses avaient assombri la sérénité de son bonheur. Ce fut la dernière. Elle l’étreignit amèrement. Était-il un monstre ? Il se scrutait pour découvrir des traces de sensibilité. Il ne quittait plus sa femme. Quelle bonne affection le liait à cette chère créature ! Il se félicitait d’une telle compagne.

Et son fils l’attirait aussi. Il lui apporta beaucoup de joujoux.

Décidément il refusait le titre de monstre. Eh quoi ! il n’était pas différent des autres. Comme eux, il obéissait aux vagues capricieuses du hasard. Le destin est un aveugle qui marche à l’aventure, portant les hommes dans ses bras. Et les plus clairvoyants d’entre eux voient tout au plus le chemin suivi.

Reniant son orgueil, il avait l’air de s’excuser.

— Ce n’est pourtant pas ma faute si je suis heureux. Est-ce moi qui ai créé mon corps, façonné mon âme, choisi mes instincts et mes appétits ?