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des doigts qui étranglèrent, raidit les muscles. Les choses les plus vulgaires prennent des significations spéciales. Un paquet de vêtements a la forme d’un cadavre. Le cri des enfants imite la plainte des moribonds. Les couchers de soleil dégouttent de sang.

Marc éclata de rire. Quel sang ? quel moribond ? quel cadavre ? quelle scène ? Son instinct aurait-il permis de telles possibilités ? Comme vision de cette époque, sa mémoire ressuscitait l’image d’Aniella lui servant de modèle, ou nue, ou pantelante sous ses caresses, ou se traînant à ses genoux, ou lui offrant la fleur vierge de son cœur. Étaient-ce souvenirs aptes à se changer en remords ?

Une phrase chanta, un soir, à l’oreille de Marc. Il l’avait prononcée au sortir du cimetière, deux ans auparavant. Bien des fois depuis, elle avait frappé au seuil de sa pensée. Mais il rougissait d’accueillir l’effrontée et séduisante créature et n’osait lui donner asile, comme à ses autres hypocrisies.

« En réalité, il n’est pas sûr qu’il soit mort par moi, rien ne le prouve. »

Très vite, Marc déclara :

— Eh bien, quoi ! c’est vrai, rien ne le prouve !

Sa conviction jusqu’ici résultait de ce simple fait : l’événement se produisait durant la période où lui l’avait circonscrite. Était-ce concluant ? Et même, comment affirmer que ce ne fut pas un mois, deux mois, trois mois plus tard, c’est-à-dire en dehors de sa sphère d’influence ? Évidemment, la raison désignait comme certaine la mort violente. Cependant ce n’était qu’une hypothèse. On pouvait objecter l’âge du bonhomme. La maladie abat les constitu-