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quelques enjambées, il escalada les marches, tenant la rampe d’une main, et de l’autre se bouchant les yeux pour ne pas voir la chambre de son père.

Il arriva dans la sienne et tout de suite, sur la table, apparut le livre entre les pages duquel il avait glissé le paquet de poison. Il frissonna.

— C’est de la folie, je me suis abusé sur mes forces.

Cette faiblesse ne dura pas. Il ne risquait, à poursuivre l’expérience jusqu’au bout, que des abattements passagers, dont quelques soins auraient facilement raison. Mais peut-être aussi s’affranchirait-il de toute crainte.

Il redescendit. Dans la salle Mélanie avait préparé le repas. Il mangea de bon appétit, tout en bavardant, avec la servante, des choses du village.

Puis commença la soirée solitaire. Des meubles et des murailles, quels fantômes surgiraient à la faveur de la nuit, témoins incapables du passé ?

Marc en revécut des minutes, de ce passé. Le vieux fumait sa pipe. Lui, le regardait en dessous et, tendant tous les ressorts de sa volonté pensait : « Il est neuf heures moins vingt, à neuf heures il faut que s’interrompe ton existence. »

L’horloge se dressait encore à la même place, mais le balancier restait immobile. Et alors Hélienne s’aperçut du formidable silence créé par ce balancier qui ne marchait plus. Un souffle de mort le frôla. Le bruit des secondes, c’est le battement du cœur des maisons, et ce cœur avait cessé de battre, et aussi le cœur du vieux.