Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conviction que la crise actuelle constituait désormais l’état normal de sa destinée.

Errant un soir, il croisa la fille rencontrée au café-concert. Il murmura.

— À quoi bon être criminel, si je n’arrive même pas à coucher avec une catin dont j’ai envie.

Recommencer son existence de misère était au-dessus de son courage, d’autant plus qu’aux tourments ordinaires s’ajoutait l’épouvante ignorée du souvenir. En toute franchise, il énonça :

— Si je reste pauvre, j’aurai des remords.

Il reçut une réponse du notaire.

Son entrevue lui enseigna de nouvelles stations d’angoisse. En outre il fallait y déployer encore des raffinements d’astuce, le bonhomme pouvant flairer le crime au cas où il soupçonnerait Marc d’avoir connu la fortune secrète de son père.

Quelle lassitude ! Quand le masque serait-il superflu ? La douleur est plus facile à simuler que la joie, mais on garde le dégoût de sa comédie comme d’un sacrilège.

Me Pichard portait des lunettes par-dessus lesquelles il regardait, signe de pénétration qui inquiéta Marc. Il joua serré. Les condoléances s’accomplirent : « Un homme si robuste… qui aurait prévu ! » Marc trembla. Les détails menaçaient. Déjà les allusions imposaient comme probable la mort subite. « Ce devait être une congestion, se suggéra-t-il de toutes ses forces. » Et d’une voix brisée, il prononçait :

— Le plus pénible, c’est de ne pas lui avoir fermé les yeux moi-même. Dire qu’à ce moment-là, je m’amusais, je riais peut-être…