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chemin caillouteux du Mauvais-Pas jusqu’aux ruines de La Roche-Périac.

Dorothée et les enfants reprirent possession de leur logis. Les trois jeunes gens s’installèrent dans les cellules du donjon.

Le lendemain, de bonne heure, Archibald Webster enfourcha sa motocyclette. Il ne revint qu’à midi.

— J’arrive de Sarzeau, dit-il, j’ai vu les moines de l’abbaye. Je leur ai acheté les ruines de La Roche-Périac.

— Seigneur Dieu ! s’exclama Dorothée, vous voulez donc y finir vos jours ?

— Non, mais Georges Errington, Dario et moi, nous voulons effectuer nos recherches tranquillement, et, pour être tranquille, il n’y a rien de tel que d’être chez soi.

— Archibald Webster, vous qui avez l’air si riche, vous tenez donc tant que cela à découvrir les diamants ?

— Je tiens, dit-il, à ce que l’aventure de notre ancêtre le marquis de Beaugreval se termine comme elle doit l’être, et à ce que, un jour ou l’autre, le hasard ne donne pas ces diamants au premier venu qui n’y aurait aucun droit. Vous nous aiderez, Dorothée ?

— Ma foi, non.

— Diable ! et pourquoi ?

— Parce que, en ce qui me concerne, l’aventure est finie avec le châtiment du coupable.

Ils parurent déçus.

— Cependant, vous restez ?

— Oui, j’ai besoin de repos et mes quatre garçons également. Une douzaine de jours ici, près de vous, en famille, nous feront beaucoup de bien. Le 24 juillet, au matin, départ.

— La date est fixée ?

— Oui.

— Pour nous aussi ?

— Oui. Je vous enlève.

— Et le but de notre voyage ?

— Un vieux manoir de Vendée où doivent se trouver réunis, à la fin de juillet, d’autres descendants du seigneur de Beaugreval. Je tiens à vous présenter à nos cousins Davernoie et Chagny-Roborey. Après quoi, vous serez libres de revenir ici… vous enterrer avec les diamants de Golconde.

— Et avec vous, cousine Dorothée.

— Sans moi.

— En ce cas, dit Webster, je revends mes ruines.

Ces quelques journées, pour les trois jeunes gens, furent un enchantement continuel. Le matin, ils cherchaient, en dehors de toute méthode du reste, et avec une ardeur qui diminuait d’autant plus vite que Dorothée ne participait pas à leurs investigations. Au fond, ils n’attendaient que le moment de la rejoindre. On déjeunait ensemble, près de la roulotte que Dorothée avait établie sous l’ombrage du gros chêne qui commandait l’allée des arbres séculaires.

Repas charmant, suivi d’un après-midi qui ne l’était pas moins, et d’une soirée qu’ils eussent volontiers prolongée jusqu’aux approches de l’aube. Pas un nuage au ciel n’altéra le beau temps. Pas un voyageur ne tenta de pénétrer dans le domaine et de passer outre à l’inscription qu’ils avaient clouée contre une branche : Domaine particulier. Pièges à loups.

Ils vécurent seuls, avec les quatre garçons dont ils étaient devenus les amis fervents et dont ils partageaient les jeux, tous les sept en extase devant celle qu’ils appelaient l’extraordinaire Dorothée.

Elle les captivait et les éblouissait. Sa présence d’esprit durant cette pénible journée du 12 juillet, son sang-froid dans la chambre du donjon, sa course vers l’auberge, sa lutte implacable contre d’Estreicher, son courage, sa gaîté, autant de choses qui provoquaient chez eux une admiration stupéfaite.

Elle leur semblait la créature la plus naturelle et la plus mystérieuse. Bien qu’elle leur prodiguât les explications et qu’elle leur eût raconté toute son enfance, sa vie d’infirmière, sa vie foraine, les incidents du château de Roborey et du Manoir-aux-Buttes, ils n’arrivaient pas à comprendre que Dorothée fût à la fois princesse d’Argonne et directrice de cirque, et qu’elle fût cela en fait, se montrant aussi réservée que fantaisiste, aussi fille de grand seigneur que bateleuse et que danseuse de corde. Mais sa tendresse délicate pour les quatre garçons les touchait profondément, tant l’instinct maternel se révélait en ses regards affectueux et en ses gestes attentifs.

Le quatrième jour, Marco Dario, de Gênes, réussit à la prendre à part et lui fit sa déclaration.

— J’ai deux sœurs qui vous aimeraient comme une sœur. J’habite un vieil hôtel, où vous auriez l’air, si vous vouliez, d’une dame de la Renaissance.

Le cinquième jour, Errington lui parla en tremblant de sa mère « qui serait si heureuse d’avoir une fille comme elle ». Le sixième jour ce fut le tour de Webster. Le septième, ils furent sur le point de se battre. Le huitième, ils la sommèrent de choisir entre eux.