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Il la regarda.

— Bigre, fit-il, la proposition a de l’allure. Alors vrai, tu abandonnerais les diamants ?

— Oui.

— En ton nom et au nom de tes trois amis ?

— Oui.

— Donne l’enveloppe.

— Coupez les liens.

Un accès de colère le souleva.

— Donne l’enveloppe. Je suis le maître.

— Non, dit-elle.

— Je veux… je veux cette enveloppe…

— Non, dit-elle, avec une force croissante.

Il arracha le petit sac épinglé au corsage, et dont l’extrémité dépassait.

— Ah ! fit-il, victorieux, le notaire m’a dit que tu l’avais mise là-dedans… comme la pièce d’or. Je vais donc savoir.

Mais il n’y avait rien dans la bourse. Déçu, fou de rage, il brandit son poing contre le visage de Dorothée en proférant :

— C’est bien ça, tu voulais me la faire ! Tes amis délivrés, j’étais fichu. L’enveloppe tout de suite !

— Je l’ai déchirée, prononça-t-elle.

— Tu mens ! On ne déchire pas une pareille chose, on ne détruit pas un tel secret !

Elle répéta :

— Je l’ai déchirée après l’avoir lue. Coupez les liens de mes amis, et je vous révèle le secret.

Il hurla :

— Tu mens ! Tu mens ! l’enveloppe, tout de suite… Ah ! si tu crois qu’on se moque de moi bien longtemps ! J’en ai assez. Une dernière fois, l’enveloppe !

— Non, dit-elle.

Il se rua vers une des cellules, débarrassa l’enfant de ses couvertures, le saisit d’une seule main par les chevilles, et se mit à le balancer comme un colis qu’on va jeter au loin.

— L’enveloppe ! cria-t-il à Dorothée, ou je lui casse la tête contre le mur.

Il était ignoble à voir. Une expression sauvage tordait sa figure. Ses complices le regardaient en riant.

Dorothée leva la main, en signe d’acceptation.

Il déposa l’enfant et revint en face d’elle. Il était couvert de sueur.

— L’enveloppe… ordonna-t-il, une fois encore.

Elle expliqua.

— Sous la voûte d’entrée… dans la partie qui débouche de ce côté… une petite boulette par terre, au milieu des cailloux.

Il appela un de ses complices et lui répéta l’indication. L’homme s’éloigna en courant.

— Il était temps… murmura le bandit, qui essuyait la sueur de son front… il était temps. Vois-tu, il ne fallait pas me provoquer… Et puis, pourquoi cet air de défi ? ajouta-t-il, comme si le calme de Dorothée l’eût embarrassé… Oui, pourquoi ? Baisse donc les yeux, cré bon sang ! Ne suis-je pas le maître ici ? maître de tes amis… maître de toi… oui, de toi.

Il redit ce mot deux ou trois fois, presque en lui-même et avec un regard qui gêna Dorothée. Mais, entendant son complice, il se retourna et l’apostropha vivement.

— Eh bien ?

— Voilà.

— Tu es sûr ? Tu es sûr ? Ah, fichtre, ça c’est la vraie victoire.

D’Estreicher dépliait l’enveloppe froissée, il la tenait dans ses mains, il la retournait lentement comme la chose la plus précieuse. Elle n’avait pas été ouverte, les cachets étaient intacts, personne ne connaissait donc le grand secret qu’il allait connaître.

Il ne put s’empêcher de dire sa pensée à haute voix :

— Personne… personne que moi…

Il décacheta l’enveloppe. Elle contenait une feuille de papier pliée en deux, et où trois ou quatre lignes seulement étaient inscrites.

Ces lignes, il les lut et sembla très étonné.

— Oh ! oh ! fit-il, c’est rudement fort ! et je comprends que je n’aie rien trouvé, ni aucun de ceux qui ont cherché. Le bonhomme avait raison, la cachette est impénétrable.

Il se remit à marcher de long en large, silencieusement, comme quelqu’un qui pèse ses décisions. Puis, revenant aux cellules, il dit aux trois gardiens, le doigt tendu vers les prisonniers :

— Pas moyen qu’ils s’échappent, n’est-ce pas ? Les cordes sont bien solides ? Alors, filez jusqu’au bateau et préparez le départ.

Les complices hésitaient.

— Eh bien ! qu’est-ce que vous avez ? dit le chef…