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Webster, le premier, présenta sa médaille.

Elle n’offrait aucune particularité qui pût laisser croire qu’elle n’était pas une des quatre pièces originales frappées sur les ordres du marquis et contrôlées par lui. Même observation en ce qui concernait les médailles de Marco Dario, de Kourobelef et d’Errington. Me Delarue, qui les avait recueillies toutes les quatre et les examinait au fur et à mesure, tendit la main à Dorothée.

Celle-ci avait pris la petite bourse de cuir attachée entre les plis de son corsage. Elle en dénoua les cordons et resta stupéfaite. La bourse était vide. Elle la secoua, la retourna. Rien.

Elle dit d’une voix étouffée :

— Je ne l’ai plus… je ne l’ai plus…

Un silence étonné suivit sa déclaration, puis le notaire demanda :

— Vous l’auriez donc égarée ?

— Mais non, dit-elle, je ne puis pas l’avoir perdue. Sinon, j’aurais perdu le sac en même temps. Regardez : il contenait juste la pièce.

— Cependant, fit le notaire, comment expliquez-vous ?…

Marco Dario intervint un peu sèchement :

— Mademoiselle n’a pas à s’expliquer. Car enfin, vous ne prétendez pas…

— Certes, dit Me Delarue, aucun de nous ne suppose que mademoiselle soit venue ici sans en avoir le droit. Au lieu de quatre médailles, il y en avait cinq, et la sienne s’est égarée, voilà tout ce que j’ai voulu dire.

Dorothée répéta posément :

— Je ne l’ai pas perdue. Dès l’instant où elle ne se trouve pas…

Elle était sur le point de dire :

— Dès l’instant où elle ne se trouve pas dans cette bourse, c’est qu’on me l’a prise.

La phrase ne fut pas achevée. Le cœur crispé d’une angoisse soudaine, Dorothée apercevait brusquement le sens d’une pareille accusation, et le problème se posait devant elle dans toute sa simplicité et avec son unique et rigoureuse solution : « Les quatre pièces d’or sont là. Une d’elles m’a été dérobée. Donc l’un de ces quatre hommes est un voleur. »

Et ce fait indéniable l’amenait brusquement à une telle vision des choses, à une certitude si imprévue et si redoutable qu’elle eut l’énergie surhumaine de se contenir. Il ne fallait pas qu’on prît l’éveil autour d’elle, avant qu’elle eût réfléchi et envisagé la situation dans ce qu’elle avait de tragique. Elle accepta donc l’hypothèse du notaire et murmura :

— Au fond, oui, c’est cela… vous devez avoir raison, maître Delarue, j’ai perdu cette médaille… Mais comment ? Je ne puis m’expliquer de quelle façon j’ai pu la perdre… à quel moment ?…

Elle parlait très bas, d’une voix distraite. Les boucles de ses cheveux écartées montraient son front soucieux. Me Delarue et les quatre étrangers échangeaient des phrases, mais qui n’avaient aucune importance, aucune d’elles n’étant sanctionnée par l’attention de la jeune fille. Puis ils se turent. Un long silence s’établit entre eux. Les lampes étaient éteintes. L’étroite lumière de la fenêtre se concentrait sur Dorothée. Elle était fort pâle, si pâle qu’elle en eut conscience et se cacha la figure entre les mains, afin d’éviter qu’on pût voir le reflet des émotions qui la bouleversaient.

Émotions violentes, et qui provenaient de cette vérité qu’elle avait eu tant de peine à atteindre et qui se dégageait tout à coup des ténèbres. Ce n’était point par bribes éparses qu’elle en recueillait les indices révélateurs, mais d’un bloc, pour ainsi dire. Les nuages avaient été balayés. En face d’elle, devant ses yeux clos, elle voyait… elle voyait… Ah ! quelle chose effrayante !

Cependant elle s’acharnait au silence et à l’immobilité, tandis qu’en son esprit se présentaient à la fois, et dans l’espace de quelques secondes, toutes les questions et toutes les réponses, tous les arguments et toutes les preuves.

Elle se rappelait la nuit précédente, au village de Périac, où la roulotte avait failli être la proie des flammes. Qui avait allumé cet incendie ? Et pour quels motifs ? N’était-il pas à supposer que l’un de ces sauveurs inopinés qui avaient surgi, s’était