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De nouveau, Dorothée souriait avec une sensation de joie indicible et de délivrance. Son plan retardé par des obstacles réussissait. Près de Saint-Quentin, qui était apparu le premier, une autre silhouette se dressait et le canon d’un fusil s’allongeait.

Instantanément, d’Estreicher avait abandonné sa besogne et regardait d’un air effaré.

Deux autres clameurs jaillirent.

— Haut les mains !… Haut les mains !

Deux nouveaux fusils étaient braqués, aux endroits désignés par la jeune fille, et les trois tireurs visaient directement et seulement d’Estreicher.

Il hésitait cependant. Une balle siffla à ses oreilles. Il leva les bras. Les complices déjà se sauvaient, sans qu’on s’occupât d’eux, franchissaient le pont et se dirigeaient vers un monticule isolé qu’on appelait le Labyrinthe.

Le grand portail s’ouvrit brusquement. Raoul se précipita, suivi par deux hommes que Dorothée ne connaissait point, mais qui devaient être les policiers envoyés sur sa dénonciation.

D’Estreicher ne bougea pas, les bras toujours levés, et, sans doute n’eût-il pas opposé de résistance si une fausse manœuvre ne lui avait laissé quelque liberté. Ses trois agresseurs l’entouraient, le masquant ainsi, durant deux ou trois secondes, aux domestiques qui le visaient. Il en profita, et, de son revolver, subitement braqué, tira coup sur coup quatre balles. Trois se perdirent, mais la quatrième atteignit à la jambe Raoul qui tomba avec un gémissement de douleur.

Sursaut de colère et de violence bien inutile, du reste. Aussitôt assailli, d’Estreicher fut désarmé et réduit à l’impuissance.

On lui passa le cabriolet de fer. Pendant ce temps, il cherchait des yeux Dorothée presque invisible derrière un fouillis de plantes où elle s’était glissée, et son regard avait une expression de haine épouvantable.

Ce fut Saint-Quentin, suivi de Montfaucon, qui découvrit Dorothée, et déjà ils s’empressaient autour d’elle, bouleversés par la vue de son visage en sang.

— Silence ! ordonna-t-elle, pour couper court à leurs questions. Oui, je suis blessée. Mais ce ne sera rien. Capitaine, galope jusqu’auprès du baron, approche-toi de Goliath, caresse-le et détache son collier. Dans ce collier, tu trouveras, sous la plaque de métal où son nom est inscrit, une pochette formant doublure et contenant la médaille que nous cherchons. Apporte-la moi.

L’enfant partit.

— Saint-Quentin, continua Dorothée, les agents m’ont-ils vue ?

— Non.

— Il faut faire croire à tout le monde que j’ai quitté le Manoir tantôt, et que vous devez me retrouver au chef-lieu, à la Roche-sur-Yon. Je ne veux pas être mêlée à l’enquête. On m’interrogerait, et c’est du temps perdu.

— Mais M. Davernoie ?

— Dès que tu le pourras, avertis-le. Dis-lui que je suis partie pour des raisons qu’il saura plus tard et que je lui demande le silence en tout ce qui me concerne. D’ailleurs, il est blessé, et, dans le désarroi, personne ne pensera à moi. On va fouiller les Buttes pour s’emparer des complices. Il ne faut pas qu’on me voie. Recouvre-moi de branches, Saint-Quentin. Bien… Maintenant, ce soir, venez me chercher tous les quatre, vous me transporterez dans la roulotte et nous partirons dès le matin. Peut-être serai-je malade quelques jours. Un peu de surmenage, trop d’émotions. Vous ne devrez pas vous inquiéter. C’est entendu, mon petit ?

— Oui, maman.

Comme elle l’avait prévu, les deux policiers, après avoir enfermé d’Estreicher dans le Manoir, passèrent non loin d’elle, conduits par un des domestiques.

On entendit leurs exclamations. Sans nul doute, ils avaient découvert l’issue du labyrinthe par où les complices s’étaient enfuis.

— Poursuite inutile, murmura Dorothée. Le gibier a trop d’avance.

Elle se sentait très lasse. Pour rien au monde, cependant, elle n’eût faibli avant le retour de Montfaucon. Elle demanda à Saint-Quentin les raisons qui avaient reculé l’heure de l’attaque.