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Elle hocha la tête :

— Je n’ai besoin de personne.

— Mademoiselle, dit-il, avouez que je ne vous suis pas sympathique.

— Ni sympathique ni antipathique. Je ne vous connais pas.

— Si vous me connaissiez, vous auriez confiance en moi.

— Je ne crois pas, dit-elle.

— Pourquoi ?

Elle lui prit la main, la retourna, se pencha sur la paume ouverte, et, tout en l’examinant, articula :

— Débauche… Esprit de lucre… Pas de conscience…

— Mais je proteste, mademoiselle ! pas de conscience, moi, moi qui suis plein de scrupules !

— Votre main dit le contraire, monsieur.

— Dit-elle aussi que je n’ai pas de chance ?

— Aucune.

— Comment ! Je ne serai jamais riche ?

— Je le crains.

— Bigre !… Et ma mort ? Lointaine ?

— Pas trop.

— Une mort douloureuse ?

— Quelques secondes.

— Donc un accident ?

— Oui.

— De quelle sorte ?

Elle désigna du doigt :

— Regardez ici, au bas de l’index.

— Qu’y a-t-il ?

— Une potence.

Il y eut un accès de rire. D’Estreicher était enchanté et le comte Octave applaudit.

— Bravo, mademoiselle, la potence pour ce vieux libertin, il faut vraiment que vous ayez le don de double vue. Aussi je n’hésiterai pas…

Il consulta sa femme du regard, et continua :

— Aussi je n’hésiterai pas à vous dire…

— À me dire, acheva Dorothée malicieusement, les raisons pour lesquelles vous m’avez convoquée.

Le comte protesta :

— Mais pas du tout, mademoiselle. En vous invitant, nous avions seulement le désir de vous voir.

— Et peut-être un peu le désir de faire appel à mes petits talents de sorcière.

La comtesse Octave intervint :

— Eh bien, oui, mademoiselle, votre annonce finale a éveillé notre curiosité. Je vous avouerai d’ailleurs que nous ne croyons guère à ces choses-là, et que c’est plutôt par curiosité que nous voudrions vous poser quelques questions.

— Si vous ne croyez pas à mes petits talents, madame, nous les laisserons de côté, et je ferai quand même en sorte que votre curiosité soit satisfaite.

— Par quel moyen ?

— En réfléchissant tout simplement à vos paroles.

— Comment ! fit la comtesse, pas de passes magnétiques ? pas de sommeil hypnotique ?

— Non, madame, du moins pour l’instant. Plus tard, nous verrons.

Ne gardant que Saint-Quentin auprès d’elle, Dorothée enjoignit aux enfants de jouer dehors. Puis elle s’assit et dit :

— Je vous écoute, madame.

— Comme ça ? sans plus de manières ?

— Sans plus de manières.

— Voici, mademoiselle.

Et la comtesse prononça, d’un ton de légèreté qui n’était peut-être pas absolument sincère :

— Voici. Vous avez parlé, mademoiselle, d’oubliettes inconnues, de vieilles pierres et de trésors cachés. Or, le château de Roborey date de plusieurs siècles, il a sans doute été le théâtre d’aventures et de drames, et cela nous amuserait de savoir si quelqu’un de ses habitants n’aurait pas laissé, par hasard, dans un petit coin, un de ces trésors fabuleux auxquels vous faisiez allusion.

Dorothée garda le silence assez longtemps, puis elle dit :

— Je réponds toujours avec d’autant plus de précision que l’on me témoigne plus de confiance. Si l’on y met des réserves, si la question n’est pas faite comme elle doit l’être…

— Quelles réserves ? Je vous assure, mademoiselle…

La jeune fille insista :

— Vous m’avez interrogée, madame, comme si vous cédiez à une curiosité soudaine, ne reposant, pour ainsi dire, sur aucune base réelle. Or, vous savez comme moi que des fouilles ont été faites dans le château.

— Cela est fort possible, dit le comte Octave, mais, en ce cas, cela remonterait à des dizaines d’années, du temps de mon père ou de mon grand-père.

— Ce sont des fouilles récentes, affirma Dorothée.

— Mais nous n’habitons le château que depuis un mois !