Page:Leblanc - Des couples, 1890.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
305
le devoir

Sans plus s’occuper d’elle, il déclara :

— Eh bien, moi, souvent, très souvent, j’ai des remords, vous entendez, Lucienne, des remords de ma vertu, comme un coupable de son crime. Pour l’homme, l’amour est la seule vraie, la seule absolue jouissance, et cette jouissance, nous l’avons repoussée. Pourquoi ? Par un enthousiasme niais, par un besoin de sacrifice ridicule, pour des mots, pour des bêtises enfin !… Ne pas être heureux quand on le peut ! le plaisir que l’on cherche tant et qu’un hasard vous met là sous la main, le rejeter ! quelle folie !… Aujourd’hui, au lieu de parler de nos voluptés, de nos nuits, de ces années de notre existence qui auraient pu se mêler, se fondre, être parfumées de baisers et de caresses, nous parlons de devoir accompli, d’abnégation, de pureté, d’honneur… C’est beau d’avoir toujours le mot « devoir » à la bouche, mais un peu de bonheur dans le cœur vaut mieux…

Une brume épaisse mouillait la terre. Du haut des arbres tombaient les bruits inquiétants des feuilles qui dégringolent. Des choses suintait une grande mélancolie.

Chabreuil articula, d’une voix rêveuse :