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un amour

elle d’une voix plus forte, agacée par son entêtement à douter. Vous vous imaginiez peut-être que je vous pleurerais, que je porterais votre deuil éternellement. C’est bien ça votre vanité, vous croyez être nos maîtres, toujours, même après l’abandon ; si nous usons de notre liberté, vous nous accusez de trahison. Avant telle époque nous ne devons pas nous consoler ; jusque-là, pas de rire, pas de gaîté, pas d’amour surtout. Vous avez besoin de vous dire, dans l’orgueil qui vous gonfle : « Comme elle m’aime ! en voilà une dont je pourrais faire encore ce que je veux ! »

Elle finissait par déclamer, en comédienne qui débite un rôle. Civialle l’arrêta :

— Marthe, Marthe, tu me tortures.

— Oui, répliqua-t-elle, je crois que vous souffrez, mais ce qui vous fait souffrir, ce n’est pas le désespoir de me voir porter à un autre ce que je vous avais donné ; non, c’est l’idée que je ne tenais guère à vous. J’aurais dû vivre des restes de votre passion.

Il la contemplait, émerveillé ; l’indignation, la révolte qu’il lisait en Marthe, faisaient d’elle une créature nouvelle, plus vivante, et plus hu-