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un amour

front que lui infligeait Civialle. Il l’injuriait presque maintenant, avec des mots méchants et le ton d’un maître qui peut parler ainsi. Puis elle se calma, eut un sourire étrange et entendit sans protester les plus cruelles insultes. Elle comprenait.

Elle démêlait, au milieu de cette colère, une immense jalousie, la jalousie basse qui survit à l’amour et dont l’homme souffre, comme si la femme qu’il a délaissée était sa chose encore, sa propriété. Elle refoula son mépris et savoura délicieusement, si outrageant qu’il fût, ce reste de passion qui le ramenait auprès d’elle.

Et soudain une idée la frappa, dont elle, vit, en un instant, toutes les conséquences bonnes et mauvaises. Pendant quatre ou cinq minutes, elle parvint à cette profondeur de pensée que l’on atteint si rarement. Elle vivait l’un de ces moments solennels où l’on se connaît, où l’on se juge, où l’on découvre tout ce qui se passe en soi, tout ce qu’on regrette, tout ce qu’on désire, où l’on prend une décision irrévocable d’après les réflexions de quelques secondes. Elle s’examinait avec cette lucidité, qui parfois jette dans le cerveau une clarté vive et met en pleine lumière