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C’était un grand jeune homme maigre, très élégant, portant la courte moustache à la mode, les cheveux calamistrés, qui ne rappelait en rien le héros de roman dont Nelly-Rose lui avait, par raillerie, donné le nom.

Il avait écouté avec dépit le récit de Mme Destol. Il aimait Nelly-Rose de toute la passion dont sa nature réservée et un peu égoïste était capable. Il souhaitait l’épouser. Elle refusait. Pourquoi ? Il ne comprenait pas. Associé d’agent de change, il était riche et lui eût fait une situation brillante. Et elle se moquait de lui, le désespérait par des incartades dont il souffrait dans son respect extrême des convenances bourgeoises. Pourtant, depuis quelques jours, il avait de secrets motifs d’espérer…

— Ah ! Te voilà, fit Mme Destol à sa fille… J’ai mis ces messieurs au courant de ton incartade…

Nelly-Rose s’écria gaiement :

— Oh ! mère, tu penses encore à ça ? Mais, c’est sans importance !

— Sans importance parce qu’on a très bien compris que tu parlais au hasard. Mais, ma chérie, on ne dit pas de pareilles choses. Réfléchis, voyons, tu es prête à tout… À quoi ?

Nelly-Rose rit encore et haussa les épaules.

— Est-ce que je sais, moi !

— Ah ! voyons, ma petite, cependant…

— Mais non, maman, il n’y a pas de cependant ! J’ai parlé au hasard, c’est vrai, mais en obéissant à un tas de pensées confuses, qui me faisaient admettre… je ne sais trop quoi… si, tiens, par exemple, un baiser comme en mettent aux enchères, dans les ventes de charité, les jolies vendeuses…

— Mais ce n’est pas un baiser que tu as mis aux enchères, petite malheureuse, c’est toi-même !

Nelly-Rose sursauta :

— Moi-même ! Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Eh bien oui, toi-même… Puisque tu es prête à tout…

Nelly-Rose haussa encore les épaules.

— Je t’en prie, maman, n’attache pas d’importance à quelques mots jetés à l’aventure et qui n’auront aucune suite.

Mme Destol secoua la tête.

— Qu’est-ce que tu en sais ?… Les journaux peuvent apprendre l’incident, le raconter… et par cela même te compromettre.

— Mais non, mais non, personne ne prendra ça au sérieux.

— Espérons-le… Allons, mes amis, un tour de bridge avant le dîner.

Valnais avait écouté la conversation, le sourcil froncé et l’air malheureux. À la dernière phrase de Mme Destol, il se leva.

— Jouez sans moi, dit-il, j’ai un peu mal à la tête.

Pendant que les autres s’installaient, Mme Destol faisant le qua-