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poing foudroyant, il se dégagea de l’attaque, fit reculer chancelants ses adversaires étonnés. Mais le colosse se relevait, mais les autres s’emparaient de bouteilles à champagne pour s’en faire une arme.

Ils allaient se ruer de nouveau, excités par les cris des derniers assistants demeurés là, et pour qui le spectacle d’un homme élégant, assailli et, ils l’espéraient, assommé par cinq brutes, constituait une rare attraction, une fin de fête vraiment amusante.

Mais tous reculèrent, et plusieurs s’enfuirent.

Gérard, froid, déterminé, avait tiré de sa poche un browning et les en menaçait.

Il profita de leur stupeur, il profita aussi de l’arrivée de Yégor, le patron de la pension, qui, prévenu de la bagarre, accourait et se jetait entre lui et les assaillants.

En une seconde, Gérard, se retournant vers Nelly-Rose qui était debout, blanche de peur, la couvrit de son manteau rouge resté sur la chaise, l’enleva dans ses bras, comme il eût enlevé un enfant, et l’emporta. Il avait repris son revolver dans une main. Nul n’osa le poursuivre.

Sans avoir bien saisi les événements, Nelly-Rose se laissait faire, éperdue d’épouvante, se confiant à cet homme plus fort que tous les hommes, à cet homme qui la protégeait et la sauvait des brutes menaçantes.

Gérard gagna rapidement la cour obscure et la traversa. Dans l’angle était le petit escalier qui conduisait à sa chambre. Il le gravit avec son fardeau qu’il serrait contre sa poitrine. Trop habitué aux périls pour avoir été, un seul instant, ému pendant la bataille, il n’éprouvait d’autre sentiment qu’une joie ardente. Il avait réussi ! L’incident, loin de le desservir, lui avait livré Nelly-Rose.

Dans sa chambre, il la déposa sur un divan, fit de la lumière, et tira les doubles rideaux. Puis il revint vers la jeune fille.

Nelly-Rose semblait à demi inconsciente. Pourtant elle ouvrit les yeux et regarda autour d’elle. Sur la cheminée, elle entrevit confusément, dans un vase, une branche de lilas.

— C’est mon lilas ? demanda-t-elle d’une voix faible à Gérard.

Il fit oui de la tête. Au bord du divan sur lequel elle était à demi étendue, il avait posé le genou. Elle voyait au-dessus d’elle, à demi-penché, son visage ; elle voyait ses yeux qui, sur elle, faisaient peser un regard immobile, avide, un regard qui lui enlevait le peu de force qu’elle avait encore.

Avait-elle peur ? Peut-être un peu, mais bien confusément, et bien in-