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Toutefois, deux heures du matin approchaient quand Mme Destol et Valnais, escaladèrent les deux étages.

— Sonnez chez moi, dit Mme Destol.

Une demi-minute après, Victorine ouvrit, effarée.

— Madame… madame…, dit-elle en voyant Mme Destol.

— Eh bien, quoi ?

— L’homme, madame ! L’homme qui devait venir !

— Eh bien, quoi ?

— Madame il est entré… Il est entré par chez mademoiselle.

— Seigneur ! cria Mme Destol.

— Je l’ai vu ! Mademoiselle avait sonné. Et puis, quand j’ai été là, elle m’a renvoyée en me disant de monter me coucher… Je ne suis pas montée, madame ! J’étais trop tourmentée !

— Mais cet homme ?…

— Madame, il est venu déjà tantôt, à la réception. Un grand brun, élégant.

— Je l’ai vu ! dit Mme Destol, je l’ai pris pour un camarade de Nelly-Rose… Mais, où est-il, à présent ?

— Chez mademoiselle, madame.

Mme Destol, suivie de Valnais et de Victorine, s’élança vers l’appartement de sa fille…

Personne, la porte de l’antichambre n’était pas refermée à clef ; le verrou était ouvert.

— Ils sont partis ensemble, gémit Mme Destol atterrée. Que faire ?… mon Dieu ! que faire ?… Il faut prévenir la police…

— Non, non, protesta Valnais, pas de scandale public, pour votre fille… pour… (il songeait : pour moi, qui dois l’épouser). Nous devons agir par nous-mêmes. Nelly-Rose a suivi ce Baratof. Pourquoi ? Où l’a-t-il emmenée ? Où habite-t-il ?

— Madame, sur la table, il y a une enveloppe avec une adresse, dit Victorine.

— C’est l’enveloppe de la carte que ce misérable lui a envoyée pendant le dîner, s’écria Mme Destol… Ah ! voyez, Valnais, le Nouveau-Palace… Téléphonons !

Après un quart d’heure d’efforts de la part de Valnais, la communication fut enfin obtenue.

— On me dit qu’il est sorti ou qu’il doit dormir, car personne ne répond chez lui, annonça Valnais.

Et soudain, hors de lui, les poings brandis :

— Ah ! la canaille, la canaille ! Il est sorti !

Mme Destol haussa les épaules.

— Évidemment, puisqu’il et venu ici… Mais qui nous dit qu’il n’est pas rentré ensuite, qu’il n’a pas entraîné Nelly-Rose et qu’il ne répond pas justement parce qu’il est avec elle ?

— Il faut prévenir la police ! cria Valnais.

— Mais, le scandale !… Vous disiez vous-même tout à l’heure…

— Il n’y aura pas de scandale. J’ai un ami intime, haut fonctionnaire à la préfecture… Mais, vous le connaissez… Thureau… C’est le bras droit du préfet. J’y vais !

— J’y vais avec vous, il n’y a pas une seconde à perdre, dit Mme Destol.

Trouver Thureau fut une tâche ardue. Thureau, célibataire, volontiers mondain en dehors de ses fonctions officielles, et qui habitait un rez-de-chaussée rue de Lille, n’était pas chez lui. Son concierge, réveillé à grand-peine, indiqua qu’il devait sans doute être en soirée puisque, à dix heures, il était sorti en habit. Où, cette soirée ? Le concierge n’en savait rien, mais, à la préfecture, on le savait peut-être car Thureau avait coutume, si un cas urgent se présentait, de laisser des indications sur l’emploi de son temps.

L’auto fila vers la préfecture. Là, Valnais, connu pour être ami de Thureau, fut renseigné. Thureau se trouvait à un bal chez des personnes qui s’appelaient Boutillier.

— C’est vrai ! s’exclama Valnais en se frappant le font. Que je suis bête ! Il m’avait dit qu’il y allait !…

— Et nous avons perdu une demi-heure, dit Mme Destol avec reproche quand elle fut au courant… Ah ! Valnais, mon cher ami, quelle étourderie ! et pendant ce temps…