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donc, dans votre entourage, que je devais venir ce soir chez vous ?

— Oui, ma mère a lu la lettre que vous m’avez fait apporter du Nouveau-Palace. Elle a exigé que je parte avec elle, mais je me suis enfuie. Je voulais tenir ma parole.

— Je vous demande encore pardon, mademoiselle, dit Gérard, étonné de ce courage, et de cette bonne foi. Je me suis mal conduit.

Cependant, il réfléchissait. Nelly-Rose s’était enfuie… Mais ceux qui la surveillaient, — sa mère, par exemple, qui l’avait emmenée pour la soustraire à l’entrevue insolite de cette nuit, — ne s’apercevraient-ils pas de la fuite de la jeune fille ? N’allaient-ils pas survenir et défendre Nelly-Rose contre lui, Nelly-Rose qui, de plus en plus, suscitait son intérêt, sa curiosité, son désir, Nelly-Rose qui, pour le moment, était en son pouvoir et qui, cette nuit, si l’occasion se présentait… Et n’avait-il pas tout préparé pour que cette occasion se présentât ?

Il fixait les yeux sur Nelly-Rose, silencieuse maintenant, et ce regard, dont elle avait déjà subi le pouvoir, gênait la jeune fille.

— Voyons, mademoiselle, causons un peu, voulez-vous ? Nous ne savons rien l’un de l’autre. Ou plutôt, vous ne savez rien de moi. Je dois vous apparaître comme quelque barbare qui vient de l’Asie, cynique, brutal, et qui veut se servir de son or pour acheter ce qu’il y a de plus beau, de plus rare et de plus précieux au monde. Oui, vous devez croire cela. Et pourtant, je ne suis pas cela. Pas plus que vous n’êtes ce que j’ai cru un moment. Que voulez-vous, vous êtes déconcertante. Vos actes sont insolites. Ils semblent ceux d’une femme avertie, affranchie, prête à tout. Mais j’ai compris mon erreur… Encore une fois, excusez-moi… Et ne craignez rien. Dites-moi que vous ne craignez plus rien ?

Elle eut un geste vague, il la sentit encore sur la défensive, inquiète, en méfiance, et il joua le jeu préparé.

— Ah ! Toujours cet air craintif, dit-il d’un ton de reproche cordial… Ce n’est pas bien ! Je serais si heureux de vous voir calme et confiante. Que puis-je faire pour cela ? (et du ton d’un homme qui se résout à un sacrifice) Tenez, mademoiselle, vous m’avez dit tout à l’heure que c’est d’être ainsi, tous deux seuls, entre quatre murs, qui vous choque et vous fait peur. Eh bien, voulez-vous que nous partions d’ici ?

Elle le regarda, surprise :

— Que nous partions ?

— Oui. Vous ne m’en voudrez pas de souhaiter goûter, quelques moments encore, le charme d’être avec vous… avec vous que je ne reverrai peut-être plus par la suite. Mais il n’est pas besoin que ce soit ici, et que nous soyons seuls. Sortons,