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Il parut se ressaisir. Son visage, un moment contracté, se détendit.

— Écoutez, mademoiselle, dit-il avec une aisance un peu railleuse, ne croyez-vous pas qu’il serait nécessaire de savoir exactement à quoi nous en tenir l’un à l’égard de l’autre, et de nous expliquer franchement sans avoir peur des mots ?

— Et bien, parlez, dit Nelly-Rose sur la défensive.

— Voici en acceptant ma présence ici, premier point, vous avez bien envisagé toutes les conséquences de votre acte ?

— Oui, dit Nelly-Rose avec netteté.

— Donc, vous avez compris le sens de cette entrevue, la nuit, chez vous ?

— Oui, j’ai compris que je recevais un homme chez moi, la nuit, que cet homme essaierait peut-être de profiter de ma confiance, mais que je saurais me défendre.

— Cependant, vous vous êtes engagée !…

— À quoi ?…

« À quoi, en effet, se demanda Gérard, s’était-elle engagée ? »

Il ne le savait pas, ignorant les clauses de la convention proposée par Baratof à la jeune fille, sachant seulement que Baratof avait donné cinq millions et était attendu à minuit par la jeune fille.

Elle reprit :

— Je me suis engagée à vous recevoir, dit Nelly-Rose. Voilà tout.

— À rien d’autre ?

— À rien d’autre qu’à vous recevoir, seul, de minuit à 7 heures… J’ai pris cet engagement par surprise. Mais je l’ai pris. Je suis donc seule.

Il n’écouta pas les derniers mots. Le premier renseignement lui suffisait. De minuit à 7 heures ! Ah ! cette jolie fille n’allait pas le croire naïf au point d’admettre qu’elle ignorât ce que cela voulait dire… Et il avait failli se laisser prendre à sa comédie d’ingénuité !

— Mademoiselle, voyons, dit-il, souriant de son sourire aigu, est-ce que vous ne pensez pas que, pendant ce laps de temps, ma générosité pour les laboratoires me donne quelques droits ? Notamment celui, bien innocent, de pouvoir m’approcher de vous sans que vous reculiez ?

Il s’approcha lentement. Elle resta sur place, crispée. Il était presque contre elle et, brusquement, il lui saisit les mains. Dans une révolte de tout son être, elle les lui arracha et bondit en arrière.

Un moment ils demeurèrent immobiles.

— Allons, sonnez encore votre femme de chambre, persifla Gérard. Je suis sûr qu’elle n’est pas montée !

Nelly-Rose ne répondit pas tout de suite ; elle essayait de se reprendre. Il entendait battre son cœur.

— Vous êtes un lâche ! lui dit-elle enfin, d’une voix dure. Oui, un lâche d’avoir osé abuser de votre fortune en proposant à une jeune fille, qui ne pouvait la refuser sans être coupable envers une œuvre admirable, une somme énorme, — un lâche parce que, pour le monde, vous jouez au philanthrope alors qu’en réalité… — un lâche parce que, après m’avoir prise au piège, vous voulez maintenant abuser de mon désarroi.

Dans son émoi, elle était plus belle que jamais. Il la regardait, émerveillé. De nouveau, un revirement s’opérait en lui. Non, cette enfant ne jouait pas la comédie. Elle était sincère, vraiment ignorante de ce à quoi elle s’était exposée. Elle n’en était que plus précieuse et plus séduisante. Il eut honte de sa brutalité et d’avoir mérité d’être appelé lâche. Il voulait la conquérir. Il le voulait plus que jamais. Et, avec son habituelle adresse, il changea d’attitude.

— Je m’excuse, mademoiselle. Je suis convaincu que vous êtes sincère.

Elle fut étonnée.

— En aviez-vous donc douté ?

— Oui… et avouez…

Elle réfléchit.