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moment, réfléchit. La contrainte qu’on lui imposait l’irritait profondément. Elle pensait avec horreur, dans sa droiture un peu naïve, que Baratof, cet homme qui avait fait un geste si généreux et qui, peut-être, était un galant homme, aurait le droit de la tenir pour une menteuse, pour une intrigante sans honnêteté et sans parole…

Elle se leva, avança jusqu’à la fenêtre qu’elle ouvrit sans bruit, et regarda dehors, s’appuyant à l’étroit balcon. La villa, bâtie sur une terrasse, dominait tout le lac d’Enghien où frissonnaient, dans la nuit douteuse, sous le ciel nuageux, de vagues reflets. Là-bas, autour du lac, quelques lumières plus ou moins lointaines…

Nelly-Rose quitta la fenêtre, fit quelques pas, paraissant hésitante… Puis, sa décision fut prise.

La hauteur d’un étage seulement la séparait de la terrasse… Quelques mètres. Ce n’était rien pour elle, courageuse et sportive. Gaîment, comme un enfant qui joue à l’évasion, elle vint au lit, prit les deux couvertures, les noua solidement l’une à l’autre, évalua leur longueur… Ce serait suffisant.

Tout à coup, une inquiétude lui vint. Avait-elle de l’argent ? Elle consulta son sac. Oui. Tout allait bien !

Aux barreaux de fer forgé du balcon, elle fixa l’extrémité de l’une des couvertures et, serrant autour d’elle son manteau, enjamba le balcon, se cramponna aux couvertures et opéra sa descente.

Elle atteignit aisément la terrasse, la traversa, descendit quelques marches taillées dans le mur de soutènement.

Au bas des marches, attachée à un anneau de fer, une barque se balançait sur l’eau… Quelle chance ! Sans cela, l’évasion eût été moins facile, car, comment s’en aller, puisque la grille de la cour avait été refermée ?

Elle s’installa dans la barque, prit les rames, et les manœuvra doucement. Elle se dirigeait vers l’embarcadère le plus voisin que lui laissait voir la clarté d’un croissant de lune qui, par moments, sortait des nuages…



V

La dernière heure


Dans sa barque silencieuse, Nelly-Rose glissait sur l’eau. La nuit était douce. L’aventure, amusante en somme, avait son charme…

Mais soudain, la jeune fille tressaillit. Une barque, là-bas, montée par deux hommes, venait dans sa direction, cherchant à la rejoindre.

Une seconde, l’idée folle qu’on la poursuivait de la villa traversa l’esprit de Nelly-Rose. Mais l’embarcation venait du milieu du lac, et la jeune fille voyait, à la clarté lunaire,