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L’idée qu’elle pût se trouver sans défense, exposée aux tentatives honteuses de ce Baratof, dont il connaissait la brutalité et le cynisme, le mettait hors de lui.

— Bonsoir, dit-il en tendant, non sans un effort, à Baratof, une main que celui-ci serra.

— Bonsoir, Gérard, amuse-toi bien. Moi, je serai couché dans une heure. Le temps de finir mes journaux.

Gérard s’en alla. Devant le Nouveau-Palace, il vit le taxi du chauffeur Ibratief qui l’attendait et qui, aussitôt qu’il fut monté, partit dans la direction de l’Opéra.

Baratof, dès qu’il fut seul, courut à la sonnette.

— Vite, le chasseur, pour me porter une lettre urgente place du Trocadéro, ordonna-t-il au garçon d’étage qui parut.



IV

« Je tiendrai ma parole »


Nelly-Rose, quand l’inconnu qui venait de surgir dans sa vie d’une façon si singulière et si inopinée fut parti, ne voulut pas rejoindre les invités attardés, mais alla s’enfermer dans son boudoir. Elle sonna la femme de chambre.

— Victorine, dites à madame que je vais me reposer une heure. Qu’elle ne s’inquiète pas de moi. J’ai un peu de migraine, mais le sommeil la dissipera. Je ne dînerai pas à table. Vous m’apporterez une tasse de thé et des sandwiches… Vous avez bien compris, Victorine ?

— Oui, mademoiselle, je vais prévenir madame.

— Surtout qu’elle ne s’inquiète pas et ne se dérange pas. Qu’on vienne me chercher seulement au moment de partir…

Lorsque Victorine fut sortie, Nelly-Rose eut un soupir de soulagement. Elle avait besoin d’être seule avec ses pensées et ses impressions. Ce qui lui était arrivé la déconcertait. Que lui voulait cet homme ? De quel droit osait-il la poursuivre ainsi ? Elle s’irritait de nouveau, s’indignait, à présent qu’elle était loin de lui, hors de son influence si étrange. Et c’était cela qui indignait le plus Nelly-Rose, c’était de reconnaître qu’elle avait été troublée, soumise, que sa volonté avait cédé…

Après une heure de repos, pendant laquelle elle avait en vain essayé de s’assoupir, elle absorba vite une tasse de thé. Puis, avec lassitude, toujours poursuivie par la pensée de l’énigmatique inconnu, elle commença sa toilette pour l’Opéra. Elle choisit une robe blanche. Cela irait bien avec son manteau de soie qui était rouge…

Elle achevait de s’habiller et il était près de neuf heures quand on frappa à la porte.

— C’est moi, mademoiselle, dit Victorine en entrant. On vient d’ap-