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gard, indiqua à Nelly-Rose qu’elle pouvait monter.

Nelly-Rose passa devant lui avec un gracieux signe de tête.

— Merci, monsieur, dit-elle, en mettant dans ces simples mots et dans son regard toute la gratitude possible.

Cependant, le chauffeur, de nouveau furibond, revenait en vociférant :

— Elle s’en ira pas comme ça, c’te poule ! J’ai une avarie à mon aile gauche !… C’est pas à faire ! Ah ! ben non !… Faut un agent pour constater !…

Gérard, de la main, le rejeta en arrière, permettant ainsi à Nelly-Rose de s’éloigner.

— Mon aile gauche, que je vous dis ! hurlait le chauffeur. Ah ! maladie !…

— Assez !

Gérard, se penchant, ramassa par terre une branche de lilas qu’il avait vue tomber de la voiture de Nelly-Rose. Il se redressa, tira son portefeuille, en sortit un billet de cent francs qu’il tendit au chauffeur.

— Monte là-dedans ! lui dit-il, en lui désignant le taxi.

Et comme l’autre, ahuri, hésitait, Gérard le prit au collet, le jeta dans le taxi et, pendant que l’homme tempêtait, monta lui-même sur le siège, prit le volant, et démarra à vive allure dans la direction prise par Nelly-Rose.



II

L’inconnu


Nelly-Rose, qui n’avait rien vu du dernier incident entre Gérard et le chauffeur, ne se savait donc pas suivie. Mais le choc avec le taxi, et surtout les apostrophes du chauffeur, l’avaient enfiévrée, bien que maintenant elle voulût s’en amuser. Elle filait vite vers le garage, songeant à cet inconnu qui l’avait si efficacement protégée et qui s’était si discrètement effacé.

Elle se mit à rire :

— Plus d’accident à redouter, maintenant, puisque je n’aurai plus d’auto. Quel avantage !

Elle s’aperçut que la branche de lilas n’était plus dans la voiture et se souvint que quelque chose, en effet, était tombé. Pauvre Valnais ! il n’avait jamais de chance !

Elle arriva au garage, très voisin du Trocadéro. Elle remit la voiture à un employé et ressortit.

Mais elle eut, sur le trottoir, un mouvement de recul un gros homme en casquette et houppelande, s’inclinant devant elle en un geste gauche, lui tendait la branche de lilas perdue. C’était le chauffeur, tout à l’heure injurieux, à présent aimable, dompté par une force supérieure.

Nelly-Rose regarda autour d’elle. À quelques pas, l’inconnu de tout à l’heure était debout. Il la salua. Étonnée, un peu mécontente, Nelly-Rose, qui avait pris machinalement la branche fleurie qu’on lui tendait, répondit par un léger signe de tête et s’éloigna sans se retourner.

— Alors, maintenant ? demanda le chauffeur à Gérard.

— Alors, c’est tout. Au revoir !

Laissant l’homme abasourdi, il se dirigea vers le Nouveau-Palace.

Nelly-Rose, en quelques minutes, fut chez elle. Les derniers préparatifs de la fête s’achevaient dans l’appartement. Les domestiques s’affairaient sous les ordres contradictoires de Mme Destol qui, agitée, mal coiffée, vêtue d’un peignoir, courait à travers les pièces, recevait les fournisseurs, installait le jazz-band et faisait sans cesse déplacer la table autour de laquelle ses quatre amis faisaient, comme au milieu d’une tempête, leur bridge obstiné et résigné.

— Allez dans la salle de bains, vous gênez trop ! leur ordonna-t-elle.

Ils obéirent, et elle se disposait à entrer dans son cabinet de toilette quand arriva Nelly-Rose.

— Bonjour, maman. Je vois que tout est prêt… Tu sais que mes camarades seront là à cinq heures pour leur numéro. Un numéro très amusant…

— Parfait, parfait ! Mais va vite t’habiller, ma petite.

— Oh ! Je serai bientôt prête.