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Le 8 mai, Nelly-Rose, voulant faire acte de présence au laboratoire, y arrivait dès deux heures de l’après-midi, et laissait, comme d’habitude, sa voiture au ras du trottoir. Elle disposait de peu de temps. La veille, démunie d’argent, elle avait vendu cette auto à Valnais et s’en servait pour la dernière fois. À trois heures, elle devait la livrer dans un garage, où Valnais, plus tard, en prendrait possession.

Elle échangea quelques mots avec ses camarades qui promirent d’être exacts. Elle leur serra la main et s’en alla.

Non loin se trouvait la voiture d’une marchande de fleurs. Nelly-Rose, par une des impulsions soudaines dont elle était coutumière, se dit que Valnais méritait bien un geste gracieux, et elle choisit une branche de lilas qu’elle fit envelopper d’un papier transparent.

Elle monta dans sa voiture, posa près d’elle le lilas, démarra. Et elle n’avait pas fait vingt mètres qu’elle se heurta assez violemment contre un taxi vide qui suivait la rue à vive allure.

Les deux autos, engagées l’une contre l’autre, furent immobilisées. Le chauffeur de taxi, gros homme rubicond, à l’aspect coléreux et vulgaire, déjà sautait de son siège.

— C’est du propre, cria-t-il à Nelly-Rose qui, à son tour, mettait pied à terre. Regardez-moi ces poules qui se mêlent de conduire sans savoir ! V’là mon aile gauche qu’est démolie ! Si c’est pas un malheur de voir ça ! Ça veut tenir un volant ! Va donc dans les dancings, mijaurée, au lieu de démolir l’aile des travailleurs ! Non, mais, des fois !…

Il s’interrompit, une main puissante l’avait saisi par l’épaule.

C’était Gérard. Il avait vu sortir du laboratoire Nelly-Rose, si reconnaissable d’après ses portraits. Il avait vu l’accident et, accourant, fendant la foule qui déjà s’amassait, intervenait :

— Tais-toi, arrange ça ! fit-il au chauffeur en le courbant de force vers les roues des voitures.

— Arrange ça !… c’est commode à dire, grogna le chauffeur qui pourtant, subjugué par la force de l’étreinte qu’il subissait, obéit mollement.

— Tais-toi, travaille ! ordonna Gérard.

— Y a pas mèche, je vous dis, faut des instruments spéciaux… protesta l’homme.

Il n’arrivait à rien. Gérard lui prêta son aide, et, contournant l’auto de Nelly-Rose, la tira en arrière. Grâce à son étonnante vigueur, il réussit à la dégager et à la faire reculer.

Alors, il en ouvrit la portière et, se découvrant, sans un mot, d’un re-