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mir. Il avait coutume ainsi de réparer les efforts prolongés et les longues nuits sans sommeil que son exceptionnelle robustesse lui permettait de s’imposer. Après une toilette qu’il prolongea avec délices, il descendit rejoindre Baratof qui l’attendait dans son cabinet de travail.

Baratof, assis à son bureau, le dos tourné à la porte, regardait une publication illustrée avec tant d’attention qu’il n’entendit pas Gérard entrer.

Gérard se pencha par-dessus l’épaule du Russe pour voir ce qui l’intéressait si vivement. C’était une revue intitulée France-Pologne, et dont la première page reproduisait trois photographies représentant, sous trois aspects différents, la même femme, très jeune et d’une rare beauté.

— Bigre, voilà une jolie personne ! dit Gérard avec un vif intérêt.

Baratof tourna la tête.

— Oui, hein, est-elle charmante ?…

— Fascinante, comme disent les Anglais. Qu’est-ce qui est écrit sous les portraits ?

Il se pencha davantage et lut :

« De notre correspondante de Paris :

» Beau geste d’une jeune fille française en faveur d’une loterie ouverte au profit de la Maison des laboratoires. Elle est prête à donner tout ce qu’on lui demandera à la personne qui s’inscrira pour cinq millions. »

Gérard eut un petit rire.

— Tout ce qu’on voudra !… Au moins, elle est délurée, la jeune personne, aussi délurée que jolie si les photos ne la flattent pas.

— Au naturel, elle est encore plus jolie, dit Baratof.

— Tu la connais ?

— Oui, à mon dernier voyage à Paris, l’autre hiver, j’ai rencontré à une matinée de bienfaisance, au Cercle interallié, une jeune fille dont la beauté m’a frappé. Elle vendait des programmes. Elle m’en a signé un, je lui ai offert un verre de champagne qu’elle a refusé sous prétexte que le champagne lui montait à la tête. Ces portraits, c’est elle.

— Et comment s’appelle-t-elle ?

— Nelly-Rose Destol, dit Baratof, et au même moment il regretta d’avoir répondu.

— Destol ! s’exclama Gérard, mais c’est le nom du Français qui a perdu en Russie les titres que je viens de rapporter !

— Oui, il est mort, pendant la guerre, en Roumanie. C’est par la comtesse Valine que j’ai su, il y a six mois, que les titres avaient été confiés au comte Valine, et que celui-ci les avait cachés là où tu les as trouvés, en attendant qu’il puisse les faire parvenir à Mme Destol et à sa fille, Nelly-Rose.

— Ah ! eh bien, si c’est Nelly-