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tune se trouvant à l’étranger, pouvaient rétribuer grassement leur délivrance. D’autres fois, il retrouvait dans des cachettes signalées à Baratof, des titres, des bijoux, des objets d’art, qu’il rapportait en Pologne et remettait à son associé. Celui-ci se chargeait de les transmettre à leurs propriétaires exilés, dont ils constituaient parfois la seule ressource, comme dans le cas de la comtesse Valine.

Cette association n’allait pas sans heurts. Baratof se méfiait de Gérard, qui, parfois, se refusait aux opérations qui lui semblaient indélicates, et, parfois, agissait avec une initiative qui contrariait les plans arrêtés dans l’esprit sans scrupules et sans pitié du Russe. Mais Baratof avait besoin de Gérard. Sur le butin rapporté par celui-ci, il prélevait, avant de le remettre à ses propriétaires, une forte dîme. En relation dans toutes les grandes villes avec des gens douteux, il savait tirer parti des richesses malhonnêtement acquises ainsi, et, bien que la police internationale eût l’œil sur lui, bien qu’il eût failli être impliqué en Autriche dans une vaste affaire d’escroquerie, il avait, par toutes ces louches opérations, acquis une énorme fortune, une fortune qui se chiffrait par dizaines de millions et dont il devait une bonne part à l’audace et à l’adresse de Gérard.

Gérard, lui, ignorait les manœuvres de son associé. Peut-être s’en doutait-il, mais il ne voulait rien savoir de précis. Caractère complexe, incapable de se livrer en personne à un acte qu’il jugeait mauvais, tenant de sa famille française et de son éducation un fond solide de propreté morale, il se laissait aller quelquefois, par suite des événements, à une certaine nonchalance de conscience.

Désintéressé, ou plutôt insouciant de l’argent, il acceptait sans discussion la part relativement faible que l’autre lui attribuait. Cette part, d’ailleurs, permettait à Gérard de vivre largement… Et il n’eût pas pu renoncer à cette vie et reprendre, du jour au lendemain, une existence banale, paisible, médiocre. L’aventure était son élément. Il aimait les sensations fortes, l’action, le risque. Il aimait réussir, et réussir l’impossible. Il aimait la reconnaissance de ceux qu’il sauvait, ou dont il sauvait les parents ou la fortune. Il aimait surtout, et par-dessus tout, séducteur né, conquérir, là où il passait, les femmes… Bien peu de femmes en sa présence, attirées par son charme et confiantes en sa gaîté juvénile, restaient indifférentes. Et bien peu qui ne se troublassent pas sous le regard tendre et persuasif de ses yeux bleus. Il le savait et, sans jamais aimer, se faisait aimer, ou du moins amollissait la volonté des plus vertueuses et des plus rebelles.