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épaule. Il repassa la fenêtre basse dont il referma le volet. Il posa son fardeau sur le sommet du mur qu’il franchit de nouveau. Il reprit l’enfant, la remit sur son épaule et s’éloigna à travers les bois, à travers la neige, parlant de temps à autre à la petite qu’il emportait, chantonnant pour la distraire, et marchant d’un pas aussi allègre que s’il n’avait rien porté du tout.

Il marcha ainsi jusqu’à la fin du jour. Les routes nivelées par la neige n’existaient plus, mais il savait pourtant qu’il était dans la bonne direction grâce aux indications d’une boussole dont il était muni et qu’à intervalles réguliers il consultait.

Il avançait toujours. Sous la toile du sac, maintenant, l’enfant s’était endormie. Il le sentait à l’abandon du petit corps reposant sur sa robuste épaule.

Le soir vint, il continua sa marche. La nuit était noire, mais une clarté confuse montait de la neige qui sous ses pas frissonnait. Il fallait pourtant que l’enfant mangeât, et lui-même également, mais, dans cette neige, dans cette nuit, comment faire halte ?

Il distingua enfin, à l’entrée du bois de sapins, la forme d’un toit. Il s’approcha prudemment, reconnut une isba sans porte et plus misérable encore que celle où il avait trouvé Stacia. Il dégagea du sac l’enfant qui, debout, vacilla sur ses jambes, mais, courageuse, ne se plaignit pas et fit quelques pas pour se dégourdir.

L’homme, cependant, avec du pain et une boîte de sardines tirée de sa besace, préparait un modeste repas. Il versa dans un gobelet un peu du thé froid que contenait une gourde et où il ajouta quelques gouttes de vodka. L’enfant but. Il augmenta pour lui la dose d’alcool et acheva les provisions.

— Allons, repartons, ma petite.

Des kilomètres de forêts succédaient aux kilomètres. Un silence profond l’entourait que troublait à peine, parfois, le bruit furtif de la neige qu’une branche trop chargée laissait choir. Les heures passaient, il marchait toujours, mais son allure n’avait plus son élasticité coutumière. La neige molle, amoncelée, semblait à chaque pas vouloir retenir ses pieds.

Enfin, ce fut l’extrémité de la forêt et, presque en même temps, ce fut le matin, le matin réconfortant.

La neige ne tombait plus, personne à l’horizon. Au pied d’un grand arbre, le voyageur fit halte une seconde fois, et voulut que l’enfant bût et mangeât de nouveau.

— Vous êtes bon, lui dit tout à coup la petite fille d’un ton convaincu.

— Et toi, tu es bien raisonnable