Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Adieu ? Pourquoi adieu ? Vous partez ?

Il eut un sourire désolé.

— Que ferais-je ici désormais, Nelly-Rose ? Vous ne m’avez jamais aimé… et je n’ai même plus l’espoir d’un peu de tendresse, puisque…

— Puisque ?…

Il lui prit la main doucement, et prononça :

— Nelly-Rose, vous vous rappelez une conversation que nous avons eue après la séance du Comité des laboratoires ? Tout en plaisantant, vous m’avez dit que vous espériez bien retrouver votre fortune et que vous rêviez parfois de quelque personnage héroïque et fabuleux, vêtu de velours et chaussé de bottes, qui, à travers mille dangers, se dévouerait à votre cause et réussirait. Le miracle a eu lieu. La chimère est devenue une réalité.

— Et alors ?

— Alors, je ne peux pas lutter contre un héros de roman.

— Vous n’avez à lutter contre personne, Valnais.

— Si, puisque vous l’aimez.

Nelly-Rose fut indignée, et protesta, toute rougissante :

— Qu’est-ce que vous avez dit, Valnais ? De quel droit vous permettez-vous ?… Comment ! un homme que je n’ai vu que quelques heures ?…

— Oui, mais dans de telles conditions que jamais plus vous ne pourrez vous délivrer de ce souvenir. Il est, il sera l’homme de votre vie. De cette vie, moi, Nelly-Rose, je ne fais plus partie… Et je ne peux plus rester… je ne le peux plus. Adieu, Nelly-Rose. Je vous ai beaucoup aimée…

Son ton était triste et sincère. Pour la première fois, Nelly-Rose le trouva sans ridicule et fut émue.

— Au revoir, Valnais. Vous resterez mon ami, n’est-ce pas ?

— J’essaierai, Nelly-Rose… Adieu…

Il alla vers la porte. Au seuil, il se retourna pour la voir une fois encore, puis sortit…


Nelly-Rose garda de cet entretien une impression de gêne qui se traduisit, les jours suivants, par un nouveau besoin de solitude et d’inaction. Tout travail lui devint impossible. Elle n’alla plus au laboratoire. Elle demeurait chez elle, à rêvasser. Certes, elle n’admit pas un instant que l’affirmation de Valnais fût véridique. Non, elle n’aimait pas ce Gérard et n’éprouvait pour cet inconnu que des sentiments de reconnaissance.

— Non, non, répétait-elle à demi-voix… Non, je ne l’aime pas. On n’aime pas un monsieur qui s’est conduit de telle sorte, un monsieur qu’on ne connaît pas et qui sort d’on ne sait où. Non, je ne l’aime pas. Mais, enfin, il est évident que notre vie, à maman et à moi, est changée grâce à lui. Maman revit. Elle est heureuse, riche…

La jeune fille, maintenant que l’orage s’en était allé, voyait les choses sous un autre aspect. La conduite de Gérard ne lui paraissait plus si coupable. Elle pensait beaucoup moins à ce qu’il avait fait de mal qu’à ce qu’il avait fait de bien, et à ce qui méritait peut-être mieux que de la rancune et du silence. Parfois, elle pensait à lui écrire.

Un jour, sans trop réfléchir, elle se fit mener à Auteuil, devant la Pension Russe, entra, et, dans le bureau, vit le patron qui s’y trouvait seul.

— Vous me reconnaissez ? lui dit-elle — et elle n’éprouvait aucun embarras. — Je suis venue ici le soir du bal avec M. Gérard. Vous êtes son ami, n’est-ce pas ?

— Oui, dit Yégor. Il m’a sauvé la vie, là-bas. C’est le plus courageux et le plus généreux des hommes.

— Je le sais, dit Nelly-Rose. Il a quitté Paris, n’est-ce pas ?

— Oui.

— J’ai besoin de savoir où il est. Je voudrais lui écrire.