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Les trois soldats du Nord n’avaient plus eu, depuis le premier mois de la guerre, aucune nouvelle de chez eux. Qu’étaient devenus leur père, leur mère, leurs sœurs, leurs parents ? Ils l’ignoraient. Ils ne savaient plus rien de leurs villages, de leurs maisons, des campagnes environnantes, de l’église où ils priaient et dont l’horloge réglait le cours de leur existence. En quelques minutes, tout cela avait sombré dans un abime de ténèbres où il leur semblait que jamais plus ne pénètrerait un rayon de lumière. C’étaient autant de régions disparues, qui ne faisaient plus partie du monde, dont ils n’entendraient plus parler et dont les paysages, ainsi que les habitants, n’existaient plus qu’à l’état de souvenirs, au fond de leur mémoire à eux — pauvres et tristes souvenirs, que chacun gardait en soi comme des reliques.

Mais Le Goff se souvenait de choses vivantes, lui ! Deux fois, à la suite de sa blessure, et pendant une permission de six jours, deux fois Le Goff avait revu son village, sa campagne, sa rivière, son église ! Le Goff avait des parents avec lesquels il correspondait ! Le Goff avait des sœurs ! Le Goff avait une mère.

Une mère, c’est-à-dire ce qui représente tout ce que les trois soldats du Nord avaient perdu. Une mère, c’est-à-dire un être dont l’image évoque toutes les belles images de enfance, de la maison familiale, du jardin, de l’église, de la campagne environnante. Et la mère de Le Goff lui écrivait !

Oh ! les trois soldats du Nord n’étaient pas jaloux du Breton. À la guerre l’envie ne se glisse point dans l’âme de celui qui se bat, pour cette raison que chacun prend sa part des bonnes aubaines qui favorisent les autres. Et tous trois ils prenaient leur part de tous les bonheurs de Le Goff.