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« Mon fils adoré,

» Nous devons retarder encore le moment de nous voir. Ta pauvre tante se doute de quelque chose, et je sens bien que, quoi qu’elle fasse, son mal serait aggravé si elle se croyait seule atteinte par le destin. Je l’ai compris dès le premier jour où j’ai su que tu avais échappé à la mort, contrairement aux premières nouvelles, et que tu étais soigné dans un hôpital de Paris. Il fallait se taire. Je me suis tue. Au prix de quels sacrifices, par quels efforts de toutes les secondes, tu le devines, mais il le fallait. Ce que ta tante éprouve est humain, et nous devons en tenir compte et laisser au temps le soin d’accomplir son œuvre d’apaisement, Les mères sont les grandes victimes de cette guerre. Celles qui sont frappées ont droit qu’on se penche. sur elles et qu’on les console par tous les moyens, fût-ce par le mensonge.

» Je mentirai donc encore, mon fils chéri, et c’est bien douloureux. Et puis ne pas te voir, ne pas t’embrasser, ne pas être là pour te soigner ! Ta terrible blessure se guérit-elle ? Ta pauvre tête te fait-elle toujours aussi mal ? Et ton bras ? Il y a des moments où je me figure qu’on te l’a peut-être coupé, ce bras meurtri… et que, toi aussi, tu me caches la vérité… Ah ! mon chéri, mon chéri, j’ai le cœur plein de joie et je n’ai jamais été si malheureuse !… »

Jeanne s’arrêta. Sa main tremblait. Elle fondit en larmes…