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frirait peut-être, mais quel soulagement ! Quelle fin de cauchemar !

À onze heures précises, après un formidable bombardement des positions ennemies, ses camarades bondirent hors de la tranchée. Dorgeval ne bondit pas. Mais il les suivit, et de pas trop loin. Il y avait trois cents mètres à franchir. Il les franchit en courant, les jambes un peu molles, le ventre tordu par d’intolérables douleurs, et avec l’impression qu’il allait enfin recevoir la charitable balle si impatiemment attendue.

Son capitaine, auprès de qui il se trouva, lui dit, pendant une pause :

— Tu es vert, mon garçon.

— Oui, mon capitaine.

— N’importe ! Je suppose que la frousse ne t’empêche pas de crier un peu fort ?

— Non, mon capitaine.

— Eh bien ! aussitôt que nos premiers hommes arriveront aux tranchées, crie-leur : « Pas de halte, les enfants ! On ne s’arrête pas ! Droit sur les secondes lignes ! » Moi, je suis un peu enroué. Ils ne m’entendraient pas. C’est compris ?

— Oui, mon capitaine.

— Eh bien ! vas-y. Gueule.

Dorgeval se campa et hurla l’ordre de son chef, d’une voix qui domina le fracas de la bataille.

— Fichtre ! ricana l’officier, tu as du coffre ! Mais tu n’avais pas besoin de exposer comme ça, debout !

— On articule mieux debout, mon capitaine.