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tineau. Lui, pendant ce temps, il n’avait guère bougé. Appuyé contre un pan de mur, les mains crispées autour de son fusil, le visage contracté, il regardait l’amoncellement des ruines.

Je lui dis :

— Il faut s’en aller, Martineau.

— S’en aller comme ça, mon lieutenant ? Avant même d’avoir tiré un coup de fusil ?

Sa voix tremblait de rage, Je vis dans ses yeux une haine féroce. J’insistai.

— Voyons, Martineau, tu ne vas pas te faire tuer ici ?

— Non, non, dit-il au bout d’un instant, comme s’il prenait son parti de tout ce qui était arrivé. Après tout, quoi ! les maisons, ça se relève. Un an de travail, un peu de courage, et il n’y paraîtra plus. Et puis, la terre est toujours là. Filons, mon lieutenant.

Il partit devant moi, la tête basse, en marmottant des mots que je n’entendais pas. Un peu plus loin, il s’arrêta.

— On leur fait face, mon lieutenant ?

— Pas encore. Tiens ! là-bas, n’est-ce pas le cimetière ?…

— C’est celui du village, mon lieutenant.

— On va essayer d’y tenir un moment. La position est bonne.

La position était bonne, en effet, et, à l’abri du petit mur, ou bien couchés derrière les tombes, nous pûmes retarder les progrès des Allemands, tandis que le gros de la compagnie abattait des arbres sur la lisière du bois et creusait des tranchées.