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Ici reposent…



À ce moment, nous raconta le lieutenant R…, on ne pouvait plus défendre le village qu’en s’accrochant aux dernières maisons jusqu’à l’arrivée des renforts promis. Je fis venir le soldat Martineau, un bon type de campagnard, un peu taciturne, pas très hardi, qui restait plutôt en arrière lors des attaques, mais tireur excellent, et je lui dis :

— Il parait que tu es du pays, toi ?

— Oui, mon lieutenant, je suis d’ici même.

— Tu as ton père et ta mère ?

— Non, mon lieutenant, ils sont morts il y a longtemps. Je fais marcher la ferme avec ma sœur. Et puis j’ai une autre sœur qui tient un café. Tenez, mon lieutenant, vous le voyez… près de l’église… Tout ce monde-là a évacué. Le village est vide.

— Eh bien, reste auprès de moi, Martineau. Tu vas nous conduire en arrière, et nous chercherons les maisons qui conviennent le mieux à la défense.

Ce fut vite fait. Quoique le village fût assez étendu, je ne tardai pas à porter mon choix sur un groupe de fermes, dont la plus importante, située à trois ou quatre cents mètres, s’étalait sur un monticule que flanquait une hêtrée.

— Conduis-moi là-bas, ordonnai-je à Martineau.

Il hésita une seconde ou deux, puis il se mit en route sans rien dire.