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— Pas de phrases, je t’en prie. Une explication nette. Où allais-tu ? Où vas-tu depuis deux mois à mon insu ? Voilà un an que notre fils Bernard se bat, un an de terreur et d’angoisse, où la vie est pour nous deux le plus intolérable supplice. Cette année, tu l’as passée dans ta chambre, ou bien à genoux, dans les églises. Tu n’as pas souri une seule fois. Il me semblait toujours, quand tu parlais que ta voix était prête à se briser. Et puis tout à coup… je pourrais citer la date… je t’ai vue différente, presque gaie. C’était un jeudi. Et chaque semaine, à peu près, il en est ainsi. Ce jour-là tu n’es plus la même. Dès le matin il y a en toi une sorte de résurrection. Tu te hâtes de déjeuner. Tu t’en vas. Et le soir, quand tu rentres, tu gardes cette même expression d’apaisement, de sérénité, de confiance, de bonheur. On dirait, que toi, dont le fils vit en face de la mort, on dirait que tu es heureuse ! Et c’est la raison de cette joie que je veux savoir. Qu’y a-t-il ? Où étais-tu dimanche dernier ? Et où vas-tu aujourd’hui ? On t’attend ? Mais parle ! Mais parle donc !

La voix frémissait de colère contenue. Le visage était crispé, et les yeux avaient un regard mauvais que Francine ne connaissait pas à son mari. Elle laissa tomber un peu de silence entre eux, et elle dit :

— Tu ne veux pas t’en rapporter à moi ?

— Non, non, fit-il vivement. Assez de ténèbres. La vérité, la certitude tout de suite.