Elle ne répondit pas. En approchant, il vit qu’il y avait devant elle une machine à écrire et des liasses de papiers, et, lorsqu’il fut tout à côté, il s’aperçut qu’elle dormait.
Elle dormait d’un gros sommeil d’enfant que la fatigue a surpris en plein travail. Il lui trouva le teint pâli et la figure un peu lasse, et il avait un grand désir de la serrer tout de suite contre lui, de l’embrasser éperdument, et peut-être plus encore de soulever ses paupières et de se griser au tendre regard de ses beaux yeux bleus.
Mais il n’osa l’éveiller. Il attendait, frissoninant et timide, touché par le spectacle de sa femme endormie et par le spectacle des choses qui l’entouraient. Trois lettres — les lettres qu’il avait écrites de là-bas — étaient épinglées au mur, ainsi que sa photographie. Puis, à côté, plusieurs articles de journaux, donnant des nouvelles de soldats disparus et rassurant les familles. Puis une photographie, très mal faite, d’un tout petit enfant qu’il ne connaissait pas.
Sur la table, des feuillets dactylographiés portaient comme titre : « Société métallurgique, rapport annuel ». Une page d’agenda montrait des chiffres écrits par Marceline, des comptes de dépenses et, au bas de la page, cette note datée du jour même, 10 juillet : « Reçu 25 francs pour trois copies sur papier carbone, Versé 15 francs à valoir sur le prix de la machine à écrire. »
Alors Jacques comprit que sa femme avait appris le métier de dactylographe, qu’elle avait acheté à tempérament une machine à écrire, et qu’elle travaillait pour vivre. « Oh ! ma chérie… ma chérie… » balbutiait-il, tout en lisant sur l’agenda les autres notes. Petites sommes données à la femme de ménage, factures payées… C’était l’effort humble et quotidien de l’épouse livrée à elle-même, et qui fait face à la vie avec ses propres moyens et son courage tenace.