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Morituri…



Vers la mi-septembre, après la retraite des Allemands, Geneviève put revenir au petit château que ses parents et elle avaient quitté une semaine auparavant sur les avis de l’autorité militaire. Une vieille paysanne qui servait de concierge la reçut à la porte du jardin, et la pauvre femme, sa main tremblante tendue vers les pelouses dévastées et vers les bâtiments criblés de balles, pouvait à peine parler.

— On s’est battu, mademoiselle Geneviève… on s’est battu comme des fous. Il y avait une cinquantaine de Français, qui sont restés là pendant quatre jours. Et puis les Prussiens ont attaqué. Ah ! ce que j’en ai vu des morts, et du sang !… Et puis je me suis cachée… J’avais si peur !…

Geneviève se dirigea seule vers le château, longue bâtisse flanquée d’une aile et habillée de vigne et de jasmin. Tout de suite, dans le vestibule, c’était le chaos effarant, les meubles renversés, les bottes de paille gaspillées, et, dans les salons, le même aspect de bouleversement. Au premier étage les chambres s’alignaient à droite, toutes ouvertes, et montrant aussi le désordre des lits défaits et des matelas jetés sur les tables.

Geneviève hésita devant la porte de l’appartement qu’elle s’était réservé à l’extrémité de ce couloir. Quelle amertume l’attendait dans ces deux pièces paisibles où reposaient tous ses souvenirs d’enfant et tous ses souvenirs d’adolescente ?