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Le Gilet de laine



Des clameurs joyeuses retentirent.

— Une auto qui arrive ! Tout un déballage de maillots et de chaussettes ! Une avalanche de passe-montagnes ! À nous les chandails ! Cours donc, Bergevin, t’as droit à un paquetage aujourd’hui ! Des caleçons tout laine tricotés par une duchesse ! Au galop, Bergevin !

Bergevin ne broncha pas. Il avait pourtant, et plus qu’un autre, le brave garçon, besoin de couvrir et de réchauffer ses membres frileux. Mais une telle malchance le poursuivait ! Deux fois déjà sa mère lui avait annoncé l’envoi de bons vêtements neufs, achetés par elle, au prix de quels sacrifices ! Pour la rassurer, il avait feint de recevoir le second colis. Mais rien n’était venu, et il avait froid.

D’ailleurs il était de ceux qui, loin de la mère dont la tendresse les enveloppe, ont toujours froid, froid au corps et froid à l’âme. Ses camarades l’estimaient peu. Il se tenait à l’écart et marchait toujours au dernier rang. « C’est un froussard », disait-on de lui.

Quand il arriva, l’auto commençait à se vider. Un petit caporal déambulait, très fier, une étole de fourrure autour du cou. Un soldat contemplait avec ahurissement la chancelière qu’on lui avait octroyée. Les autres, la figure épanouie de joie, essayaient leurs chandails et leurs plastrons de flanelle.

— À toi, Bergevin, fit le sergent-major qui distribuait, choisis… Tiens, veux-tu ce paquet ? Adjugé !